27 octobre 2023
Des «petits monstres» qui peuvent causer de gros soucis
L'étudiante-chercheuse en microbiologie et auteure de romans policiers à saveur scientifique, Marie-Stéphanie Fradette, enquête sur des parasites microscopiques qui hantent les eaux brutes et qui inspirent ses écrits

Les protozoaires du genre <i>Giardia</i> sont responsables de la giardiose, l'infection parasitaire la plus courante chez l'humain en Amérique du Nord. Les deux noyaux de cet organisme unicellulaire contribuent à lui donner l'apparence d'un visage.
— Getty Images/Dr Microbe
Il y a, dans les plans d'eau du Québec, notamment ceux dans lesquels les usines de traitement d'eau potable puisent leur eau brute, des créatures microscopiques qui n'ont rien à envier à celles qui donnent des frissons à l'Halloween. L'une d'elles, Giardia intestinalis, a l'allure d'un petit fantôme hirsute ou d'une effrayante tête d'insecte, selon l'angle où on la regarde.
En milieu naturel, le protozoaire Giardia intestinalis et ses semblables sont entourés d'une coque rigide – on parle alors d'un kyste – qui les protège des stress environnementaux. Lorsqu'un kyste ingéré par un humain ou un animal arrive dans le petit intestin, il libère deux parasites flagellés qui, à l'aide de leur ventouse, se fixent à la paroi intestinale de leur hôte. Là, ils se nourrissent des éléments nutritifs qui passent à proximité et se multiplient; dans les cas graves, l'abondance du parasite est telle qu'elle peut nuire à l'absorption des éléments nutritifs chez l'hôte.
L'ingestion d'une vingtaine de kystes de Giardia suffit à déclencher une infection, appelée giardiose. Il s'agit de l'infection parasitaire la plus fréquente chez l'humain en Amérique du Nord. Le séjour intestinal de ces protozoaires peut provoquer des maux de ventre et des diarrhées aiguës ou chroniques, en particulier chez les enfants, les femmes enceintes et les personnes immunodéprimées. D'où l'importance d'assurer un suivi serré de l'évolution de l'abondance de ces parasites dans l'eau brute qui alimente les réseaux d'eau potable afin de réagir rapidement au besoin.
C'est à cette tâche que s'est attaquée l'étudiante-chercheuse Marie-Stéphanie Fradette, membre de l'équipe de Steve Charette, professeur au Département de biochimie, de microbiologie et de bio-informatique et chercheur associé à la Chaire de recherche industrielle CRSNG – Gestion et surveillance de la qualité d'eau potable de l'Université Laval. L'étudiante-chercheuse a profité de la Journée scientifique de la chaire, qui a eu lieu le 26 octobre, pour faire le point sur ses travaux.

À l'aide d'une ventouse, les parasites du genre <i>Giardia</i> se fixent à la paroi intestinale de leur hôte. Là, ils se nourrissent des éléments nutritifs qui passent à proximité et se multiplient. Dans les cas graves, l'abondance du parasite est telle qu'elle peut nuire à l'absorption des éléments nutritifs chez l'hôte.
— CDC
«Les parasites du genre Giardia et Cryptosporidium donnent du fil à retordre aux responsables des usines de traitement d'eau parce que leur coque les protège contre le procédé de chloration, explique la doctorante. Il existe d'autres traitements pour en venir à bout, mais ils doivent être adaptés en fonction de l'abondance des parasites présents dans l'eau brute. C'est pourquoi il est important de faire un suivi temporel de leur abondance.»
Pour ce faire, l'étudiante-chercheuse a prélevé à 15 reprises, entre mars 2022 et février 2023, des échantillons d'eau à proximité de chacune des prises d'eau des usines de traitement de Québec, dans la rivière Saint-Charles, de Charny, dans la rivière Chaudière, et de Lévis, dans le fleuve Saint-Laurent. Par la suite, elle a quantifié l'abondance de Giardia et de Cryptosporidium dans ces échantillons.
Les résultats? La bonne nouvelle d'abord. Dans les trois sites, les concentrations de ces protozoaires atteignent rarement les concentrations à partir desquelles des mesures supplémentaires de traitement d'eau doivent être appliquées. La moins bonne nouvelle maintenant. Il n'y a pas de variables facilement mesurables et généralisables, comme la concentration d'E. coli ou de coliformes totaux par exemple, qui permettent de prédire, à tout moment de l'année, l'abondance de ces protozoaires dans l'eau brute des trois sites.
«Pour obtenir cette information, il faut donc que chaque usine procède régulièrement à des dépistages dans son eau brute. Chaque test de dépistage coûte environ 1000$, ce qui explique en partie pourquoi le suivi des protozoaires est le parent pauvre du monitoring microbiologique de l'eau», observe Marie-Stéphanie Fradette.
Les analyses effectuées par la doctorante invitent à la prudence. «Nous avons constaté que les fortes pluies entraînent une hausse de l'abondance de ces protozoaires dans l'eau brute. Ces événements risquent d'être plus fréquents dans l'avenir, en raison des changements climatiques. Pour le moment, nous n'avons pas constaté de problèmes importants, mais il faut demeurer vigilants et proactifs», recommande-t-elle.
— Marie-Stéphanie Fradette
Des romans policiers à saveur scientifique
Les caractéristiques quelque peu effrayantes des protozoaires qui vivent dans l'eau brute n'ont pas échappé à Marie-Stéphanie Fradette, qui est aussi auteure de la série de romans policiers Pathogène, publiés chez Klemt Édition. «Les virus, les bactéries, les champignons microscopiques et les parasites ne sont pas visibles à l'œil nu. Ce qu'on ne voit pas nous fait peur et je mise sur cette réaction naturelle dans mes romans. Je mêle aussi beaucoup d'informations scientifiques vraies à l'intrigue policière.»
La doctorante constate que sa formation en microbiologie et ses travaux de recherche teintent ses romans. Ce n'est pas un hasard si l'héroïne de la série est une experte en microbiologie et que, dans le tome 2 de la série, Peur bleue, l'un des personnages est chercheur en génie des eaux et le microorganisme au cœur de l'intrigue est fortement inspiré de Cryptosporidium, un parasite contre lequel il n'existe pas encore de médicament efficace.
«Mon intérêt pour l'écriture et ma curiosité scientifique sont apparus pendant mon enfance et ils ont grandi en parallèle. J'ai déjà envisagé des études en médecine, mais dès mes premiers cours en microbiologie, quand j'ai vu des microorganismes gigoter sous le microscope, j'ai su que j'avais trouvé ce que je voulais faire.»