Les aliments biologiques ont gagné en popularité, mais comment savoir si ce qu'on achète est vraiment bio? Christophe Cordella, professeur à la Faculté des sciences de l'agriculture et de l'alimentation de l'Université Laval et responsable du Laboratoire de recherche et de traitement de l'information chimiosensorielle (LARTIC), s'intéresse à cette question à travers le projet TOFoo (True Organic Food), en collaboration avec l’institut Polytechnique UniLasalle à Beauvais, son partenaire en recherche et développement.
Pilotée par l'entreprise Eurofins, cette initiative a permis de lancer une solution commerciale et rapide permettant d'assurer l'authenticité du caractère biologique de produits agricoles bruts ou peu transformés.
La force du projet TOFoo découle d'une analyse non ciblée des aliments. «Contrairement à l'analyse chimique traditionnelle, qui se focalise sur des familles de molécules, on n'arrive pas avec une idée préconçue des critères qui distinguent les produits biologiques de leurs homologues conventionnels. On regarde l'ensemble des caractéristiques chimiques des aliments.»
C'est cette empreinte chimique globale qui intéresse le professeur Cordella puisqu'elle varie selon le type d'agriculture utilisé. À l'instar d'un enquêteur qui compare des empreintes digitales à celles de criminels, le professeur compare cette signature spécifique à l'empreinte analytique numérisée d'aliments, unique et universelle, contenue dans une banque de données de plusieurs gigaoctets. «Les conditions environnementales, notamment la pratique agricole avec laquelle ils ont été cultivés, influencent fortement leur empreinte chimique globale. Si c'est une culture biologique ou conventionnelle, cette empreinte ne sera pas la même», ajoute-t-il.
TOFoo offre ainsi un outil supplémentaire pour garantir le respect des pratiques autorisées en agriculture biologique. Cette solution permet d'aller plus loin que les seules analyses ciblées de détection de résidus de pesticides, d'organismes génétiquement modifiés ou d'antibiotiques pour contrôler l'authenticité des produits.
La puissance des modèles chimiométriques
Les nombreuses données analysées proviennent de 8 techniques spectroscopiques différentes, qui doivent toutes être triées et mises en forme par des outils de prétraitement. Ce formatage est sous la responsabilité du professeur Cordella.
L'équipe de recherche du professeur Cordella a aussi la charge de développer les modèles informatiques qui classent les produits dans les catégories «biologique» ou «conventionnel» selon la signature chimique. Ces modèles peuvent s'appuyer sur les méthodes statistiques multivariées, mais également sur des algorithmes d'intelligence artificielle tels que les réseaux de neurones artificiels ou les Support Vector Machines (SVM), pour ne citer que les plus connus.
Dans le cas des modèles intelligents, les programmes apprennent à catégoriser les aliments à l'aide de milliers d'échantillons, tous récoltés en Europe. Ces échantillons concernent 6 matrices alimentaires, soit le lait, le blé, la carotte, la tomate, la pomme et le jus de pommes. Selon le professeur Cordella, c'est le premier projet à aussi grande échelle.
Pour optimiser la performance de catégorisation, l'équipe du professeur Cordella se fie aux réponses de plusieurs modèles à la fois. «Nous les faisons «voter» sur le type d'agriculture utilisé pour chaque échantillon de produits. Nous regardons ensuite la proportion de modèles qui répondent «biologique» par rapport à ceux qui répondent «conventionnel» pour arriver à une conclusion», précise le chercheur. L'efficacité de cette approche vient d'être prouvée pour la catégorisation du lait pasteurisé à ultra haute température (lait UHT) et pour les tomates.
À terme, les producteurs auraient accès au service du projet TOFoo pour prouver l'authenticité de leurs produits aux consommateurs en envoyant des échantillons. Les coopératives agricoles et les commerçants pourraient aussi faire appel à ce service pour s'assurer du caractère biologique des produits de leurs fournisseurs. Actuellement, seuls des échantillons européens sont analysés, mais des entreprises québécoises et canadiennes pourraient être intéressées.
Actuellement, les données et les outils informatiques sont stockés dans un serveur à l'Université Laval, mais l'équipe du professeur Cordella souhaite regrouper le tout dans une plateforme commune. L'entreprise ATOL C&D, basée à Paris, se chargera de transformer le prototype scientifique en une application facile à utiliser.
Le projet TOFoo est réalisé également en collaboration avec différents partenaires, dont les grandes entreprises Thermo Fisher et Bonduelle, la start-up Myriade, l'Institut de l'agriculture et de l'alimentation biologiques (ITAB), et deux laboratoires de l'Université de Nantes, le GEPEA et le CEISAM.