
En 2026, Santé Canada obligera l'industrie alimentaire à apposer des étiquettes d'avertissement de haute teneur en sodium, en sucre ou en gras saturés sur le devant de l'emballage des aliments transformés. Il serait pertinent de profiter de cette occasion pour créer une initiative similaire en fonction des effets environnementaux des aliments, écrit en substance Lydia Laflamme dans un essai qui s'est fait remarquer. L'étudiante à la maîtrise en science politique à l'Université Laval a remporté récemment le 10e concours national d'essais universitaires organisé par l'Association canadienne des programmes d'administration publique.
Selon elle, «le contexte d'urgence climatique nécessite sans aucun doute une approche audacieuse et rapide de la part des acteurs étatiques». Le Canada, écrit-elle, a une responsabilité en tant que leader international, mais aussi envers sa population. Elle cite un rapport des Nations unies selon lequel «plus du tiers des émissions de gaz à effet de serre imputables aux activités humaines sont liées à l'alimentation».

— GETTY IMAGES/UDRA
L'étudiante lauréate a répondu aux questions d'ULaval nouvelles pour expliquer sa réflexion.
Comment vous est venue l'idée de cet essai?
À travers des discussions avec des chercheurs d'autres disciplines, surtout en santé publique et en nutrition, mélangées à mes propres intérêts en science politique. Il y a déjà de la recherche et des initiatives au Canada au sujet de l'intégration d'étiquettes sur les bouteilles d'alcool présentant des risques pour la santé, par exemple, ou encore la création d'applications mobiles qui calculent le score nutritif des aliments. On peut aussi penser aux étiquettes d'avertissement qui seront ajoutées sur chaque cigarette au Canada à partir du mois d'août 2023.
Je m'intéresse depuis plusieurs années à ce que représente l'alimentation dans la crise environnementale, notamment la quantité énorme d'informations contradictoires qui circule à ce sujet. Je trouve qu'un frein important à l'adoption d'une alimentation plus écoresponsable dans la population générale, actuellement, est le manque d'accès à de l'information simple, concise et basée sur un certain consensus scientifique. C'est un problème auquel je tente de remédier dans mon essai.
Vous soulignez que «l'introduction de politiques publiques informatives et comportementales, donc visant à influencer le comportement des citoyens sans contraintes directes comme la taxation, fait partie des recommandations du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) en alimentation». Est-ce la voie à suivre, en 2023, pour faire changer les choses?
Je pense qu'il y a plusieurs changements urgents et de grande ampleur à effectuer pour lesquels l'approche dont je discute n'est peut-être pas suffisante. Or, je crois aussi que lorsqu'on touche à des aspects aussi personnels que l'alimentation, dans le mode de vie des citoyens, il est nécessaire de rester prudent pour ne pas brimer la liberté de choix. J'ai confiance en la capacité des gens à faire des choix rationnels pour l'environnement, mais pour y arriver, il faut avant tout qu'ils soient bien informés.
Le problème est aussi que les options présentées ne reflètent pas leurs impacts de manière réaliste. Par exemple, le prix des aliments ou des moyens de transport au Québec n'est pas représentatif du coût environnemental de ces choix. Il n'y a pas une grande différence de prix entre la viande rouge et des alternatives moins polluantes. Donc la population moyenne, si non conscientisée, continuera à en consommer plusieurs fois par semaine, même s'il est recommandé d'en réduire la consommation de 85% au Canada. En transport, les automobilistes ne paient pas les infrastructures selon leur utilisation. On ne peut donc pas s'attendre à ce que, rationnellement, les citoyens prennent les meilleures décisions en termes d'écoresponsabilité.
Je pense que d'informer et de conscientiser les citoyens, tout en leur laissant la responsabilité de prendre leurs décisions, est un bon début pour faire changer les choses avant que l'urgence climatique amène des contraintes plus directes.
Dans votre essai, vous encouragez une nouvelle avenue, la démarche expérimentale en administration publique, qui permet de faire des tests et de produire des données. Pouvez-vous l'expliquer?
Oui, c'est une bonne manière de tester des solutions avant de les implanter à grande échelle. On peut ainsi limiter les coûts, si une solution s'avère inefficace, ou optimiser l'efficacité d'une intervention en la testant de plusieurs manières, en faisant varier certains de ses éléments. Par exemple, on peut tester différentes pistes de solution et observer, par expérience, laquelle amène le plus d'acceptabilité sociale, ce qui est un enjeu extrêmement important actuellement pour les décideurs publics.
Lorsqu'on parle d'étiquetage des aliments, cette démarche est intéressante parce qu'on peut expérimenter différents modèles d'étiquettes, puis observer si les gens y portent davantage attention en fonction de certaines couleurs, de certaines formes ou encore s'ils préfèrent des étiquettes très simplifiées par rapport à des étiquettes contenant plus d'informations. Bref, en s'assurant d'abord par expérimentation qu'on maximise le potentiel d'impacts des étiquettes sur les aliments, cela facilite la mise en œuvre à grande échelle tout en maintenant une bonne acceptabilité auprès de la population et des producteurs.
Je crois aussi que le fait même qu'une politique publique soit fondée sur des données expérimentales contribue à maximiser l'acceptabilité sociale.
— Lydia Laflamme
Que représente pour vous ce prix décerné par l'Association canadienne des programmes d'administration publique?
Les avantages d'être lauréate du concours sont principalement au niveau du réseautage, mais aussi du mentorat offert par l'École de la fonction publique du Canada. J'ai désormais accès à de nouvelles possibilités, comme des invitations à des évènements et à des conférences dans le secteur de la fonction publique, ainsi qu'un soutien pour mieux m'orienter dans ma recherche de stage.
Améliorer la fonction publique, est-ce l'une de vos aspirations?
Je suis loin d'être une experte de la fonction publique, alors que mes travaux actuels sont plutôt centrés sur les sciences comportementales et la méthode expérimentale en science politique. En revanche, je suis passionnée par la recherche et je crois que mon ambition est surtout de favoriser davantage de collaboration entre ces deux milieux, c'est-à-dire le milieu universitaire et celui de l'administration publique, surtout lorsqu'on parle de gouvernance expérimentale. J'aspire à produire de la recherche qui peut avoir de réelles applications concrètes et je crois que cela passe par des liens étroits avec l'administration et les décideurs publics.
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Lydia Laflamme a été encouragée à participer au concours par Shannon Dinan, professeure au Département de science politique, qui l'a aidée dans le processus de soumission de son essai. L'étudiante est par ailleurs membre de la Chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires, du Groupe de recherche en politique et cognition et de la Chaire de leadership en enseignement des sciences sociales numériques de l'Université Laval.