Avant que les changements climatiques n'affectent davantage la flore nordique du Québec, il est important d'étudier à fond les espèces qui la composent afin d'en documenter la biodiversité, mais aussi la chimiodiversité. En effet, certaines de ces plantes, qui risquent d'être perdues à jamais en raison des perturbations climatiques, produisent des composés qui pourraient nous être très utiles, notamment en santé. C'est le cas du petit thé du Labrador dont l'un des composés possède des propriétés contre la malaria, vient de démontrer, dans la revue ACS Omega, une équipe dirigée par le professeur Normand Voyer, du Département de chimie de l'Université Laval.
Les chercheurs se sont associés au Whapmagoostui Cree Nation Council et au Kuujjuaraapik Inuit Community Council pour étudier cette plante dont la limite sud de l'aire de répartition correspond à la latitude de ces deux communautés. Les feuilles et les racines du petit thé du Labrador (Rhododendron subarcticum) sont utilisées en médecine traditionnelle pour préparer des tisanes servant à soigner le rhume, la grippe, la congestion nasale, les maux de tête et les maux d'estomac. «Il est probable que la composition chimique de la plante varie selon les conditions environnementales. Nos partenaires veulent en savoir plus sur cette espèce, entre autres quel est le meilleur moment de collecte pour en maximiser les bénéfices médicinaux», souligne le professeur Voyer.
Lors des analyses en laboratoire, les chercheurs ont constaté que l'huile essentielle tirée des feuilles du petit thé du Labrador contenait 53 composés, dont le plus abondant, l'ascaridole, représente 65% du total. Ce composé est aussi présent chez d'autres espèces végétales utilisées dans différentes parties du monde contre les parasites qui affectent les plantes, les animaux et les humains.
Les chercheurs ont donc eu l'idée de tester le potentiel de l'ascaridole extrait du petit thé du Labrador contre deux souches de Plasmodium falciparum, le parasite qui cause la forme la plus sévère de la malaria. L'une de ces souches était résistante à plusieurs médicaments utilisés pour traiter cette maladie. Résultats? «L'ascaridole a une activité inhibitrice contre les deux souches du parasite», résume Normand Voyer.
«Ce serait bien si l'ascaridole pouvait constituer un nouveau traitement contre cette maladie qui cause plus de 600 000 décès par année dans le monde, poursuit le chercheur. Mais l'objectif premier de notre étude était d'apporter une nouvelle preuve de la riche chimiodiversité de la flore nordique et de l'urgence de l'étudier. Quand tu perds une espèce, tu perds aussi les substances qu'elle produit et qui pourraient fournir une solution à un problème de santé publique majeur comme la malaria.»
Les autres signataires de l'étude sont, à l'Université Laval, Jean-Christophe Séguin et Sarah Bélanger, du Département de chimie, Stéphane Boudreau, du Département de biologie, Dominic Gagnon et Dave Richard, de la Faculté de médecine, et à l'Université Côte d'Azur, Xavier Fernandez.