On trouve de tout sur Internet, même des opinions qui pourraient permettre de sauver plus de vies. C'est ce que suggère une étude publiée dans Plos Onepar une équipe de chercheurs canadiens dont fait partie Matthew Weiss, professeur à la Faculté de médecine, chercheur au Centre de recherche du CHU de Québec – Université Laval et directeur médical du don d'organes à Transplant Québec.
Le professeur Weiss et ses collègues Alessandro Marcon et Darren Wagner, de l'Université de l'Alberta, et Christen Rachul, de l'Université du Manitoba, se sont intéressés aux opinions, réponses et réactions exprimées par des internautes à la suite d'une modification à la loi touchant le don d'organes en Nouvelle-Écosse. Cette modification, adoptée en avril 2019, renverse le fardeau en matière de don de ses organes: elle présume qu'en cas de décès, toute personne adulte consent à faire don de ses organes, à moins d'avoir fait une demande pour être exemptée de cette mesure. La Nouvelle-Écosse, qui avait l'un des plus faibles taux de donneurs d'organes au Canada, est la première juridiction d'Amérique du Nord à adopter l'approche du consentement présumé.
Afin de prendre le pouls de la population canadienne par rapport à ce changement à la loi sur le don d'organes, les chercheurs ont analysé la section des commentaires de deux articles diffusés à ce sujet sur le site Web de la CBC News. «Nous voulions savoir ce que les gens disaient lorsqu'ils s'exprimaient plus librement que par sondages», précise Matthew Weiss. Le moins que l'on puisse dire est que ces articles ont fait réagir. Entre leur diffusion en début avril 2019 et le 24 mai suivant, ils avaient suscité 629 commentaires, 2034 réponses et 8344 réactions.
Dans l'ensemble, 54% des commentaires formulés étaient négatifs par rapport au changement à la loi. Cela portait à croire que l'opinion publique était très divisée par rapport au consentement présumé, mais les chercheurs ont vite constaté qu'une bonne partie des commentaires négatifs provenait d'un petit noyau dur d'opposants. «Les 5 personnes qui ont rédigé le plus de commentaires négatifs représentaient 2,7% du total des personnes défavorables à la mesure, mais elles avaient généré 27% de tous les commentaires négatifs, souligne le professeur Weiss. Comme c'est souvent le cas sur Internet, les personnes qui ont des réactions négatives par rapport à un sujet sont très engagées dans les discussions.»
Les principales préoccupations des opposants touchaient l'empiètement du gouvernement sur les libertés individuelles (33%) et la perte d'autonomie sur son propre corps (14%). «Le thème de la confiance à l'endroit du gouvernement, du système de santé et des médecins est un élément central du discours des opposants, constate Matthew Weiss. C'est important d'en tenir compte parce que tout le système du don d'organes repose sur la confiance. Les gens veulent être certains que leurs organes serviront à sauver des vies, qu'ils seront attribués aux personnes malades qui en ont le plus besoin, sans égard à leur statut social, et que personne n'en retirera d'avantages monétaires.»
Les commentaires exprimés sur Internet à la suite des modifications à la loi sur le don d'organes en Nouvelle-Écosse nous offrent la chance de mieux comprendre les appréhensions de la population par rapport au consentement présumé et par rapport au don d'organes en général, poursuit-il. «Ils nous rappellent qu'il ne faut pas ménager les efforts pour expliquer les raisons qui motivent un changement à un système de don d'organes, pour exposer les bénéfices qui en découleront et pour présenter les détails de sa mise en application, incluant la préservation du droit de veto des familles. Ce droit de refus existe aussi bien dans un système de consentement présumé comme celui de la Nouvelle-Écosse que dans un système de refus présumé comme celui du Québec et des autres provinces. Il faut le rappeler parce qu'il y a toujours de la désinformation à ce sujet.»
L'autre enseignement livré par le cas de la Nouvelle-Écosse est qu'il faut bien cibler les campagnes d'information sur le don d'organes, ajoute le professeur Weiss. «Il ne faut pas gaspiller de ressources à convaincre les convaincus ni à tenter de rallier des gens qui ont des idées très arrêtées. Il faut cibler prioritairement les personnes qui se situent entre ces deux groupes, les personnes hésitantes qui envisagent de faire don de leurs organes, mais qui ont besoin de plus d'informations objectives pour les aider à se faire une idée sur le sujet.»