
Le grand-duc d'Amérique a un régime alimentaire très diversifié. Ses serres très recourbées et puissantes lui permettent de retenir solidement des proies de la taille d'un lièvre ou d'un canard.
— Kojihirano
On a parfois l'impression que tous les hiboux se nourrissent de petits rongeurs, mais ce n'est pas le cas. Le régime alimentaire de ces oiseaux varie énormément d'une espèce à une autre et les adaptations morphologiques des serres en font foi. Au point où une analyse biométrique des serres pourrait servir à déduire de quoi se nourrit une espèce dont on connaît peu ou pas les préférences alimentaires, suggère une étude qui vient de paraître dans le Journal of Zoology.
Des chercheurs canadiens et américains, dont Gilles Gauthier, du Département de biologie et du Centre d'études nordiques de l'Université Laval, se sont livrés à un exercice d'anatomie comparée en étudiant 63 spécimens de 15 espèces de hiboux conservés dans les collections du Smithsonian Museum of Natural History de Washington. Ces espèces ont été subdivisées en quatre groupes sur la base des connaissances actuelles au sujet de leurs préférences alimentaires: insectes et autres invertébrés, poissons, petits mammifères ou généralistes.
«Nous avons pris différentes mesures sur les serres de ces oiseaux, souligne le professeur Gauthier. Ces structures anatomiques, qui incluent les doigts et les griffes, sont très révélatrices du type et de la taille des animaux qu'un hibou consomme parce qu'il les utilise pour capturer, immobiliser, tuer et transporter ses proies.»

Le petit-duc scops est un hibou de la taille d'un merle qui niche depuis le sud de l'Europe jusqu'en Asie centrale. Il se nourrit principalement d'insectes. Ses serres sont peu puissantes, mais relativement longues et agiles, ce qui augmenterait ses chances de capturer ses proies au vol.
— Frank Vassen
Les chercheurs ont effectué des analyses discriminantes à l'aide de 4 caractéristiques des serres: la robustesse (hauteur et largeur des serres), la portée (la longueur totale du doigt et de la griffe), la courbure de la griffe et la force des serres (estimée à partir du rapport entre les longueurs de la griffe et du doigt). Les résultats, présentés sous forme graphique dans l'article, montrent 4 nuages très distincts, chacun d'eux regroupant les espèces partageant les mêmes préférences alimentaires.

Les serres très robustes du kétoupa malais, un hibou de l'Asie du Sud-Est, lui permettent d'agripper fermement les poissons qui constituent l'essentiel de son alimentation.
— Getty Images/Rushen Poisson
«En théorie, à partir de quelques mesures effectuées sur les serres, on pourrait donc positionner une espèce de hibou sur ce graphique et avoir une bonne idée de ses préférences alimentaires, souligne le professeur Gauthier. Cela pourrait être utile dans le cas d'espèces rares ou peu étudiées pour lesquelles le régime alimentaire est mal documenté. Cette approche pourrait aussi nous aider à comprendre comment des espèces de hiboux qui occupent un même habitat partagent les ressources alimentaires qui s'y trouvent. Elle pourrait même servir à détecter les différences dans les préférences alimentaires des mâles et des femelles d'une même espèce.»

Le hibou moyen-duc se nourrit principalement de petits mammifères. Il utilise ses serres pour encercler et étouffer ses proies.
— Getty Images/Anne Coatesy
Les autres auteurs de l'étude parue dans le Journal of Zoology sont Cassandra Cameron et Nicolas Lecomte, de l'Université de Moncton, David H. Johnson, du Global Owl Project en Virginie, et Jean-François Therrien, du Hawk Mountain Sanctuary en Pennsylvanie.