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Le Christ à l’avant-garde de la lutte pour l’égalité entre hommes et femmes? La question peut surprendre lorsque l’on considère que Jésus de Nazareth, qui exerçait un ministère public comme prédicateur dans une Palestine sous administration romaine, a vécu à une époque très lointaine, il y a plus de 2000 ans, dans une société patriarcale et machiste. Pourtant, son attitude à l’endroit des femmes, telle qu’elle est rapportée par les Évangélistes dans le Nouveau Testament, montre clairement sa grande ouverture d’esprit en la matière. Un des meilleurs exemples de cela est certes le rapport de Jésus avec Marie de Magdala, une femme que l’on disait pécheresse, peut-être une prostituée. Celle-ci devient l’une de ses disciples, le suit jusqu’à ses derniers jours et assiste à sa résurrection.
«De manière générale, Jésus se démarque par son attitude favorable aux femmes, ce qui ne manquait pas de faire des vagues, soutient le professeur Sébastien Doane, exégète à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval. Dans les extraits des Évangiles où Jésus est avec une femme, souvent, le toucher est mentionné. Marie de Magdala lui a lavé les pieds et les a essuyés avec ses longs cheveux. Les apôtres s’en étonnaient. Comment, se disaient-ils, peut-il parler avec une femme? Ou comment peut-il se laisser toucher par une pécheresse?»
Le jeudi 10 novembre, le professeur Doane a fait une présentation en ligne sur le thème «Bible et féminisme». Plus d’une soixantaine d’internautes ont assisté à son exposé, en majorité des catholiques engagés d’un certain âge qui s’intéressent à un discours de gauche en théologie.
Des textes rédigés sur environ 1000 ans
Pour rappel, la Bible réunit des dizaines de textes très anciens rédigés sur environ 1000 ans par divers auteurs masculins. Ce livre sacré provient d’une société patriarcale, machiste et hétérosexiste où seuls les hommes ont accès à l’écriture et où les responsables politiques et les responsables religieux sont uniquement des hommes.
Dans le monde de la Bible, les femmes étaient considérées comme des personnes à charge et même, comme des propriétés appartenant à leur père ou à leur mari. Cela en conformité avec les 10 commandements reçus de Dieu par Moïse après la sortie d’Égypte du peuple juif. L’un de ces commandements se formule comme suit: «Tu ne convoiteras rien de ce qui appartient à ton prochain, ni sa maison, ni sa femme, ni son serviteur, ni sa servante, ni son bœuf, ni son âne».
«Malgré tout, indique Sébastien Doane, plusieurs femmes ont joué un rôle important dans l’histoire d’Israël. Il y a eu des femmes leaders, des prophétesses. Certaines ont accompli des exploits militaires, d’autres offraient des expressions de sagesse.»
L’exemple de Phoebe est intéressant à plus d’un titre. Cette femme du premier siècle après Jésus-Christ a été chargée par l’apôtre Paul d’apporter aux chrétiens de la capitale impériale sa lettre aux Romains. «Phoebe, explique le professeur, est identifiée comme diacre au sein de l’Église naissante. Paul demande aux Romains de bien l’accueillir. Elle sera la première à lire la lettre. Elle se charge aussi de répondre aux questions. À quelque part, elle est la représentante de Paul. Cette figure importante du christianisme naissant nous laisse entrevoir ce qui se passait à l’époque.»
«Je suis devenu féministe en lisant les Évangiles, dira-t-il. Il va de soi qu’il y a dans ces livres une valeur d’égalité que l’Église catholique devrait actualiser.»
Il a rappelé que plusieurs femmes ont suivi Jésus comme disciples. Certaines l’ont été depuis le début de sa prédication.
«Jésus est assez unique dans la littérature biblique, poursuit-il. Il n’y a pas tellement d’autres personnages masculins de l’Antiquité qui étaient aussi ouverts aux interactions avec les femmes et qui valorisaient celles-ci.»
Analyses féministes
Le professeur Doane a consacré la dernière partie de sa présentation aux études féministes de la Bible. Aux États-Unis, la pionnière en la matière fut Elizabeth Cady Stanton. À la fin du 19e siècle, elle publiait, avec un comité de 26 femmes, un essai intitulé La Bible de la femme. Cet ouvrage contestait la position traditionnelle de l’orthodoxie religieuse selon laquelle la femme devrait être soumise à l’homme. «Le livre, souligne-t-il, contient des commentaires ciblés sur les textes bibliques problématiques par rapport aux enjeux féministes. Le féminisme tout court se développe là. Il s’est bâti dans une réflexion sur les textes bibliques.»
Que faire avec un texte patriarcal et machiste tiré de la Bible? Quelques approches sont possibles, aux dires du professeur. Le lecteur peut s’en tenir à une interprétation littérale fondamentaliste et accepter complètement l’idéologie portée par le texte. Ou bien il arrête de lire et de transmettre les textes problématiques. Il peut aussi recontextualiser ces textes en montrant qu’ils sont issus de contextes sociaux particuliers et ensuite les réinterpréter avec une compréhension du monde égalitaire.
«Je suis d’avis qu’il faut regarder l’ensemble des textes, qu’ils soient plus ou moins patriarcaux et plus ou moins misogynes, mais avec un regard critique, soutient-il. D’une part, les contextualiser, expliquer qu’ils font partie d’une culture plus large, et critiquer les valeurs et les dynamiques de pouvoir de l’époque. Et, en même temps, porter un regard critique sur nos propres ancrages culturels et sociaux.»
La période d’échanges qui a suivi la présentation a surtout porté sur les manières de faire une plus grande place aux femmes, d’avoir une meilleure répartition des responsabilités dans les pratiques actuelles dans l’Église catholique. «On retrouve beaucoup de femmes en catéchèse pour l’éducation de la foi, mais pas dans la gouvernance de l’Église, dit-il. Or, il y a de moins en moins de prêtres. Dans les années 2000, il y avait presque autant de femmes que d’hommes aux cycles supérieurs en théologie. Aujourd’hui, il y a de moins en moins de femmes. Il faut repenser la gouvernance autrement. Je pense qu’il faut former le plus de femmes possible pour qu’elles puissent jouer un rôle essentiel dans la gouvernance de l’Église, dans l’éducation de la foi.»