«Nous vivons actuellement un contexte économique excessivement difficile et surprenant, affirme Kim Thomassin, première vice-présidente et cheffe, Québec, à la Caisse de dépôt et placement du Québec. Inflation, pénurie de main-d’œuvre, population vieillissante, guerre en Ukraine, perturbation de la chaîne d’approvisionnement mondiale: pour la première fois, nous sommes confrontés à autant d’impacts en même temps.»
Selon elle, les six premiers mois de l’année ont été difficiles à la Caisse. «Mais, poursuit-elle, avec les décisions que nous avons prises, notamment avec une répartition variée des actifs, je puis dire que le bas de laine des Québécois est en bonne santé. Nous avons des liquidités pour faire face aux défis, nous avons une marge de manœuvre. Nous sommes très disciplinés quant aux risques. Nous faisons des choix judicieux dans nos investissements avec la même rigueur qui a fait notre renommée. Les gens peuvent donc être rassurés.»
Kim Thomassin était de passage sur le campus de l’Université Laval le mardi 18 octobre dans le cadre de la Semaine ULaval pour toujours. Elle a échangé avec la rectrice Sophie D’Amours à l’occasion des Grands Entretiens de la rectrice. L’activité, organisée par La Fondation de l’Université Laval, s’est déroulée devant plus de 70 personnes au Cercle du pavillon Alphonse-Desjardins.
Pour rappel, la Caisse de dépôt et placement du Québec est un géant financier avec plus de 400 milliards de dollars d’actifs sous gestion. Son mandat est de faire fructifier les avoirs de 46 régimes de retraite et d’assurance au service de plus de 6 millions de Québécois. L’un d’eux est le Fonds commun de placement des régimes de retraite de l’Université Laval. Une part appréciable des actifs de la Caisse, soit 78 milliards de dollars, est investie dans l’économie du Québec. À l’étranger, les investissements de la Caisse sont présents dans l’économie de plus de 65 pays. Globalement, les experts de la Caisse investissent dans les marchés boursiers, les placements privés, les infrastructures et l’immobilier. Au 30 juin 2022, les investissements de la Caisse avaient procuré un rendement annualisé sur cinq ans de 6,1%.
«Tous les matins, j’ai envie de faire ce que je fais»
Kim Thomassin a obtenu son diplôme en droit de l’Université Laval en 1996. Après avoir pratiqué pendant 17 ans le droit des affaires dans le cabinet d’avocats McCarthy Tétrault, elle accepte, en 2017, l’offre du président de la Caisse, Michael Sabia, de se joindre à son équipe de direction en matière d’investissement responsable et d'affaires juridiques. Son poste actuel, elle l’occupe depuis 2020. «Je me sens très privilégiée de poursuivre ma carrière à la Caisse, dit-elle. Tous les matins, j’ai envie de faire ce que je fais en ayant conscience de porter une grande responsabilité. Il est fascinant de travailler pour une institution qui peut avoir un impact quotidiennement sur la population du Québec.»
Selon elle, la Caisse n’a jamais été aussi présente dans l’économie québécoise. «Par exemple, indique-t-elle, nous avons plusieurs beaux investissements dans l’immobilier à Québec, notamment Laurier Québec et le Château Frontenac.»
Elle souligne la grande activité des entrepreneurs d’ici dans l’acquisition d’entreprises à l’étranger. «Ces dernières années, précise-t-elle, il y a eu davantage de ces acquisitions que l’inverse. Nos sociétés en portefeuille ont ainsi réalisé 350 acquisitions, soit une par semaine, ce qui représente 30 milliards d’actifs en acquisition. Et la tendance est à la hausse. Nous voulons accompagner les sociétés québécoises dans leur développement à l’étranger, leur donner une longueur d’avance par nos réseaux et par nos expertises.»
Selon elle, la Caisse a un pouvoir d’influence. «Quand on prend position sur les changements climatiques ou sur la diversité, les gens nous écoutent, soutient-elle. Ils vont nous suivre ou du moins vouloir dialoguer avec nous. Pour nous, il est important que le conseil d’administration de chacune de nos sociétés en portefeuille compte 30% de femmes. De tels dossiers font partie de notre rôle et de notre vision à long terme.»
Une première stratégie environnementale dès 2017
En 2017, Kim Thomassin a travaillé sur la première stratégie environnementale de la Caisse. Des objectifs ambitieux ont été établis et de belles réalisations ont été effectuées entre 2017 et 2021.
«Cette politique, explique-t-elle, a fait l’objet d’une mise à jour à la suite de l’entrée en fonction de notre nouveau président et chef de la direction, Charles Émond. Elle est encore plus ambitieuse. Elle repose sur quatre piliers. Pour contribuer activement à une économie plus durable, nous voulons détenir 54 milliards de dollars d’actifs sobres en carbone d’ici 2025. Ces actifs s’élevaient à 18 milliards en 2017. Nous voulons aussi réduire de 60% l’intensité carbone de l’ensemble du portefeuille d’ici 2030. La réduction atteignait 49% en 2021 et nous visons être net zéro d’ici 2050. Nous avons également mis en place une enveloppe de transition de 10 milliards pour accompagner certaines entreprises plus ou moins émettrices de gaz à effet de serre. Enfin, nous nous sommes engagés à finaliser notre sortie de la production de pétrole d’ici la fin de 2022. Nos investissements dans ces sociétés représentaient environ 1% du portefeuille.»
Elle ajoute que depuis 2017 chaque investissement de la Caisse dans une société donnée fait l’objet d’une analyse de son empreinte carbone par une équipe d’experts.
Rappelons ici le virage pris par l’Université Laval dans ce dossier. En décembre 2019, la direction de l’établissement annonçait le lancement d’une stratégie d’investissement responsable prévoyant la réduction de 30% d’ici 2025 et de 50% d’ici 2030 de l’empreinte carbone du portefeuille de titres de participation de l’Université et de sa Fondation. Le 28 octobre 2021, l’une et l’autre annonçaient une réduction de 42% de cette empreinte carbone.
Un nombre croissant de femmes en haute finance
Une des questions de la rectrice portait sur la présence des femmes dans le milieu traditionnellement masculin et conservateur de la haute finance. «Ça va mieux de ce côté, mais il y a encore du chemin à faire, répond Kim Thomassin. À la Caisse, je dirais que les choses vont quand même bien. En 2021, les femmes constituaient 39% de notre comité de direction.»
Elle a ensuite nommé quelques femmes responsables de gros portefeuilles d’investissement au Québec qui constituent autant de modèles. Ce sont Isabelle Hudon, présidente et cheffe de la direction de la Banque de développement du Canada, Janie C. Béïque, présidente et cheffe de la direction du Fonds de solidarité FTQ, et Marie-Hélène Nolet, cheffe de l’exploitation de Desjardins Capital.
Aux étudiantes et étudiants en sciences de l’administration, l’invitée de la rectrice a eu le mot suivant: «Faites-vous confiance, rêvez grand et ne laissez pas tomber vos rêves. Ne vous mettez pas dans un carcan trop rigide. Donnez-vous des chances à l’erreur parfois. Mon parcours a été tout sauf linéaire. J’ai été refusée comme stagiaire par le bureau où je suis devenue associée directrice quelques années plus tard. Ne vous laissez pas affecter par un échec qui peut se transformer plus tard en opportunité.»
Au sujet des professionnels de la Caisse, elle dira que plus de 35% d’entre eux ont moins de 30 ans. «Cette génération, explique-t-elle, recherche beaucoup de rétroaction pour s’améliorer.»
Le 8 mars 2016, en cette Journée internationale de la femme, Kim Thomassin recevait la Médaille de l’Assemblée nationale du Québec soulignant son parcours exceptionnel, son leadership professionnel et personnel inspirant, son engagement auprès des femmes, ainsi que sa contribution au développement de la communauté d’affaires québécoise.