Dans certaines conditions, capturer et remettre à l'eau un saumon entraînerait une baisse du nombre de descendants qu'il produit. C'est ce que démontrent des chercheurs de l'Université Laval et leurs collaborateurs dans une étude publiée par la revue Fisheries Management and Ecology.
L'équipe de recherche arrive à cette conclusion après avoir mesuré le succès reproducteur de saumons qui ont remonté la rivière Rimouski à l'été 2018. Dans un premier temps, les chercheurs ont dressé, par analyse d'ADN, un fichier contenant les empreintes génétiques de 475 spécimens adultes capturés alors qu'ils s'engageaient dans la rivière. Un an plus tard, les chercheurs sont retournés sur les lieux et ils y ont capturé quelque 2500 alevins issus de l'effort reproducteur de l'année précédente. Après avoir obtenu l'empreinte génétique de ces alevins, ils ont apparié chacun d'eux à son père et à sa mère probables.
Grâce à ces informations et grâce à la collaboration des pêcheurs, les chercheurs ont pu chiffrer le succès reproducteur de 33 adultes qui avaient été capturés et remis à l'eau en 2018. Premier constat: au moins 83% de ces saumons s'étaient reproduits, un pourcentage comparable aux saumons qui n'avaient pas été pris par les pêcheurs. Second constat: les saumons remis à l'eau ont proportionnellement moins de descendants que ceux qui n'ont pas été pris par les pêcheurs. Leur apport est 27% plus faible.
«Un combat entre un saumon et un pêcheur dure souvent jusqu'à 30 minutes. C'est stressant et épuisant pour ces poissons. De plus, comme ils ne s'alimentent plus depuis plusieurs semaines, ils doivent puiser dans leurs réserves pour survivre. Leur succès reproducteur peut en souffrir», avance le premier auteur de l'étude, Raphaël Bouchard, doctorant au Département de biologie de l'Université Laval dans l'équipe de Louis Bernatchez.
Ces observations ne concordent pas avec les conclusions d'une autre étude menée il y a 10 ans sur la rivière des Escoumins par l'équipe du professeur Bernatchez. Les chercheurs n'avaient alors noté aucun effet de la remise à l'eau sur le succès reproducteur du saumon.
«La température de l'eau pourrait être en cause, suggère Raphaël Bouchard. L'eau de la rivière des Escoumins est plus froide, de sorte qu'elle est mieux oxygénée. La capture pourrait être moins éprouvante dans ces conditions. Des travaux menés par d'autres équipes ont montré que le taux de mortalité des saumons remis à l'eau, qui est d'environ 5% quand la température de l'eau est moins de 12 degrés Celsius, peut grimper à 20% à des températures de 18 à 20 degrés Celsius.»
La remise à l'eau est une mesure bien intentionnée visant à assurer la pérennité du saumon, mais elle peut avoir des effets négatifs, constate le doctorant. «Il faut se demander s'il n'y a pas lieu de limiter le nombre quotidien de saumons qu'un pêcheur peut capturer et remettre à l'eau. Il faut aussi se questionner sur la pertinence de permettre la pêche au saumon en période de canicule ou dans les zones plus froides d'une rivière où le saumon se réfugie lorsqu'il fait très chaud. Quelles que soient les mesures adoptées, leur succès dépendra de la collaboration des pêcheurs. Il faut donc s'assurer de les sensibiliser aux bonnes techniques de remise à l'eau ainsi qu'aux enjeux éthiques de cette mesure de conservation.»
Les signataires de l'étude publiée dans Fisheries Management and Ecology sont Raphaël Bouchard, Laurie Lecomte et Louis Bernatchez, de l'Université Laval, Kyle Wellband, de Pêches et Océans Canada, et Julien April, du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs du Québec.