23 juin 2022
Automédication au cannabis: une solution qui risque de créer des problèmes
Même si les preuves de l'efficacité du cannabis sont encore très rares, les Québécois s'autoprescrivent des produits tirés de cette plante pour des problèmes de santé allant de la douleur à la timidité

— Getty Images/Wasja
Anxiété, dépression, insomnie, timidité, migraines, spasmes musculaires, douleurs, perte d'appétit, diminution de libido. Voilà quelques-uns des problèmes de santé pour lesquels les Québécois s'autoprescrivent du cannabis, et ce même si aucune étude scientifique fiable n'a encore démontré son efficacité pour ces usages.
Ces observations sont tirées d'une étude qu'une équipe de la Faculté de pharmacie de l'Université Laval et du Centre de recherche du CHU de Québec-Université Laval vient de publier dans le Journal of Cannabis Research. «Il s'agit de la première étude québécoise qui dresse un portrait détaillé de l'automédication au cannabis depuis qu'il est possible de s'en procurer sans autorisation médicale au Canada», précise le professeur Arsène Zongo, qui a dirigé l'équipe.
Les chercheurs ont mené une enquête en ligne auprès de 489 personnes qui utilisaient du cannabis, acheté à la Société québécoise du cannabis, dans le but de traiter un ou des problèmes de santé. Il s'agissait dans tous les cas d'automédication et non d'un usage prescrit par un professionnel de la santé.
Voici les principaux constats de l'étude:
les causes les plus souvent citées pour s'autoprescrire du cannabis étaient l'anxiété (70%), l'insomnie (56%), la douleur (53%) et la dépression (37%);
le nombre de problèmes de santé allait de 1 à 13, mais la plupart des répondants (66%) évoquaient entre 2 et 5 problèmes de santé;
45% des répondants consommaient du cannabis tous les jours;
74% consommaient du cannabis en automédication depuis plus d'un an;
56% des répondants prenaient aussi des médicaments sous ordonnance.
— Arsène Zongo, au sujet des personnes qui s'autoprescrivent du cannabis
«Tout cela n'augure rien de bon, tant pour ces personnes que pour le système de santé, estime Arsène Zongo. Les gens qui s'autoprescrivent du cannabis courent des risques d'événements indésirables à court et à long terme. Ce risque serait plus grand pour les personnes qui prennent aussi des médicaments sous ordonnance parce que le cannabis interfère avec les mécanismes biologiques responsables de la dégradation de plusieurs médicaments. En plus, comme le pourcentage de personnes qui consomment du cannabis pour des raisons de santé est en hausse – il est passé de 23% de l'ensemble des consommateurs de cannabis en 2019 à 40% en 2021 –, les problèmes engendrés par l'automédication au cannabis risquent de créer une charge supplémentaire sur le système de santé.»
Si tant de gens se tournent vers l'automédication au cannabis, c'est que les traitements actuels pour des problèmes tels que la douleur chronique, l'anxiété et la dépression sont inefficaces pour une bonne partie des patients, reconnaît le professeur Zongo. «La plupart de ces gens ont des besoins en santé qui ne sont pas comblés par le système de santé et ils cherchent des solutions à l'extérieur du système.»
Quelle serait la solution? «Même si l'efficacité du cannabis pour traiter ces problèmes reste à démontrer, il faut être pragmatique et travailler à en faciliter l'accès dans le circuit médical afin de limiter les dommages. Cela permettrait d'assurer un usage mieux encadré du cannabis, de réduire les risques d'intoxication et de prévenir les interactions avec les médicaments», fait-il valoir.
— Arsène Zongo
Pour y arriver, il faudrait aplanir les obstacles qui limitent l'accès au cannabis médical et qui poussent les gens vers l'automédication, poursuit-il. De plus, il faudrait mieux former les professionnels de la santé pour qu'ils puissent bien informer les patients au sujet des risques associés à l'usage thérapeutique du cannabis.
«Les pharmaciens, à titre de spécialistes des médicaments, devraient être au cœur du processus d'utilisation thérapeutique du cannabis pour aider à minimiser les risques liés aux éventuelles interactions médicamenteuses. Présentement, ils sont hors du circuit», déplore-t-il.
L'étude publiée dans le Journal of Cannabis Research est signée par Antoine Asselin, Olivier Beauparlant Lamarre, Richard Chamberland, Sarah-Jeanne McNeil, Éric Demers et Arsène Zongo.