
Le graphite, le cobalt et le niobium, dans l’ordre, font partie des 42 minéraux critiques et stratégiques identifiés par le gouvernement du Québec.
— Robert. M. Lavinsky et James St-John
Le mardi 24 mai, un colloque s’est tenu au Grand Salon du pavillon Maurice-Pollack sur le thème «Construire ensemble la recherche sur les minéraux critiques et stratégiques(MCS) pour une économie verte». Les trois tables rondes de la journée ont porté sur les enjeux socioéconomiques des MCS, la valorisation des ressources en MCS, et l’innovation technologique et les changements sociétaux pour une utilisation durable des MCS. Les panels étaient composés d’universitaires, de représentants gouvernementaux et de représentants de l’entreprise privée, ainsi que d’une représentante d’Hydro-Québec.
Le cuivre, le graphite, le zinc, le cobalt, le nickel, le niobium, le titane, le lithium: voilà autant de MCS que possède le Québec en grande quantité dans son sous-sol.
Très recherchés, ces minéraux d’avenir sont au nombre de 42 au Québec et de 48 au Canada. Cellulaires, ordinateurs portables, batteries rechargeables, plusieurs objets de notre quotidien contiennent de tels minéraux. Ils servent aussi à la fabrication d’équipements médicaux et d’instruments dentaires. Dans la lutte contre les changements climatiques et les gaz à effet de serre, on les utilise notamment dans la fabrication d’éoliennes, de panneaux solaires et de véhicules électriques.
Selon Georges Beaudoin, professeur au Département de géologie et de génie géologique de l’Université Laval, les MCS sont indispensables à la transition énergétique et technologique du Québec. «Le gouvernement du Québec, dit-il, veut faire l’électrification des transports. Cela prend entre autres le stockage de l’énergie électrique dans des batteries. Un certain nombre de minéraux stratégiques sont nécessaires pour le développement de la filière de la transition énergétique. Pour la batterie électrique, on parle notamment du graphite et du lithium. Pour la fabrication des anodes et des cathodes de ces mêmes batteries, on parle entre autres du nickel et du cobalt.»
Acceptabilité sociale
Le panel sur les enjeux socioéconomiques des MCS a mis en lumière le fait que le remplacement d’un combustible fossile majeur comme le pétrole nécessitera des investissements massifs dans la construction d’infrastructures de production électrique. La diversité des MCS constituera également un enjeu. «Chacun des minéraux d’avenir occupe un marché spécifique, explique le professeur Beaudoin. D’autres enjeux se situent au niveau de l’extraction et de la transformation de ces minéraux. De plus, certains ont un usage unique ou plus limité. Un autre enjeu concerne le type de produits à fabriquer. Par exemple, en ce qui concerne le lithium, la fabrication de lubrifiants ne nécessite pas la même qualité chimique que le lithium utilisé dans la fabrication de batteries. Quant aux prix, ils varient selon la pureté du minerai.»
Julie Fortin est professionnelle de recherche à la Chaire de recherche INQ sur le développement durable du Nord à l’Université Laval. Sa présentation a porté sur l’acceptabilité sociale des MCS chez la population crie de la municipalité de Nemaska, dans la région du Nord-du-Québec, relativement à deux projets de mines de lithium.
Les Cris de Nemaska ont subi les impacts de la dérivation de la rivière Rupert réalisée en 2007 pour la construction de deux centrales hydroélectriques. Différentes mesures de compensations, visant notamment à mitiger les impacts environnementaux, ont été mises en place par Hydro-Québec. «Malgré cela, dit-elle, la dérivation a affecté 10 des 15 terrains de trappage de la communauté, ce qui a entraîné des conséquences importantes, notamment en ce qui a trait à l’accès au territoire pour la chasse et la pêche.»
L’augmentation de la teneur en méthylmercure dans les poissons est un phénomène inhérent à la construction de barrages hydroélectriques. Il s’agit d’un phénomène connu et suivi par Hydro-Québec, qui a créé différents outils pour informer les communautés des secteurs plus à risque. L’un de ces outils est un guide élaboré en collaboration avec le Conseil cri de la santé et des services sociaux de la Baie James et l’Institut national de santé publique.
Selon Julie Fortin, les relations entre les promoteurs de projets miniers et les populations autochtones concernées se sont beaucoup améliorées au fil du temps. «L’industrie minière, soutient-elle, fait des efforts pour diminuer l’empreinte de ses activités sur l’environnement et sur les communautés locales. Les promoteurs de projets miniers sont soumis à différentes exigences gouvernementales. L’intérêt et la demande croissante pour les minéraux critiques et stratégiques amènent les promoteurs à innover et à développer de nouvelles approches à la fois technologiques, environnementales et sociales.»
Dans le cadre du projet Whabouchi, qui est situé à 30 kilomètres de la communauté de Nemaska, Environnement Canada a suggéré d’ajouter deux nouvelles substances qui ne figuraient pas dans la liste de suivi, soit le lithium et le béryllium. Le tantale sera également une substance qui fera l’objet d’un suivi dans le cadre du projet Rose lithium-tantale, l’autre projet situé à 40 kilomètres de la communauté.
Selon la professionnelle de recherche, le projet Whabouchi a bénéficié d’un accueil plutôt favorable. Une entente sur les répercussions et les avantages a été signée en 2014 entre la communauté, le Grand Conseil des Cris et le promoteur. Au moment des audiences publiques en 2015, une pétition d’une centaine de noms en faveur du projet circulait dans la communauté. «Or, malgré les bénéfices anticipés, le projet a suscité des inquiétudes par rapport à ses impacts sur la santé des membres de la communauté, notamment en ce qui concerne les risques de contamination de la nourriture traditionnelle», explique-t-elle.
À l’heure actuelle, les comités environnement formés dans le cadre des différentes ententes avec les promoteurs n’ont pas d’obligation légale de se concerter. C’est pourquoi Julie Fortin propose que l'information sur la qualité des plans d’eau soit rendue disponible par bassin versant plutôt que par projet et ce, afin de favoriser un meilleur accès à l'information pour les communautés impactées. «Cela, affirme-t-elle, constituerait une approche beaucoup plus transparente pour ces communautés.»
Un réseau de recherche sur l’économie circulaire des MCS
Le colloque a été l’occasion pour Georges Beaudoin d’annoncer une proposition de création, par l’Université Laval, d’un réseau de recherche sur l’économie circulaire des MCS pour une relance économique verte. Dans l’approche circulaire, les ressources minérales servent à fabriquer des biens utiles, durables et conçus pour que l’on puisse les recycler. Le professeur Beaudoin, ainsi que le professeur Christophe Krolik, de la Faculté de droit et Crystal Laflamme, professeure au Département de géologie et de génie géologique, sont à l’origine de cette initiative. Celle-ci vise à répondre au besoin identifié par le gouvernement du Québec dans son Plan québécois pour la valorisation des minéraux critiques et stratégiques. Ce réseau repose aussi sur la Stratégie canadienne sur les minéraux critiques du gouvernement du Canada.
Intersectoriel et interuniversitaire, le réseau panquébécois serait dirigé depuis l’Université Laval. Il s’inspire de la Structure de l’Université sur les MCS, laquelle s’appuie sur l’expertise et le leadership de plus de 20 professeurs issus de 6 facultés. Ces enseignants sont titulaires de chaires et participent à des centres de recherche reconnus. Le réseau inclurait des entreprises et des membres des communautés, notamment autochtones.
«Nous nous sommes dit que le réseau devait toucher à tous les aspects qui vont entourer les MCS, indique Georges Beaudoin. Ces aspects comprennent entre autres le traitement des MCS, le développement responsable et durable des ressources et les enjeux de société, dont les impacts économiques. Nous avons à l’Université une grande diversité d’expertises pour répondre à un grand besoin de connaissances.»
Un des mandats du réseau sera de développer de grands projets innovants. Les activités s’articuleront selon quatre axes qui intègrent l’exploitation des ressources en MCS, qui développent les technologies de la transition énergétique avec un objectif de recyclage des MCS pour réduire l’empreinte environnementale de l’activité industrielle, et qui investiguent les enjeux socioéconomiques pour offrir de nouvelles avenues de gouvernance en harmonie avec les parties prenantes, dont les peuples autochtones. Le dernier axe porte sur le développement d’une offre de formation intersectorielle liée à la problématique des MCS.
«Si on avait ce réseau, soutient le professeur, on aurait une infrastructure forte pour représenter le Québec auprès d’autres réseaux semblables au Canada. Des initiatives similaires sont en gestation ou se mettent en place. Éventuellement des interactions vont se développer avec le Canada, les États-Unis, l’Union européenne. Nous espérons que le gouvernement du Québec annoncera la façon dont il financera un tel réseau. L’Université Laval est prête à prendre le leadership. C’est notre ambition. À notre colloque nous avons fait venir des gens de différentes parties prenantes, des partenaires potentiels comme le maire d’Amos et préfet de la MRC Abitibi.»