
Représentation artistique de virus à ARN marins. Grâce aux travaux publiés dans Science, le nombre d'espèces de virus à ARN connues a plus que doublé.
— Amanda Toperoff
Qui dit virus à ARN dit COVID-19, SRAS, rougeole, hépatite C, poliomyélite et fièvre d'Ebola. Mais ce n'est là que la partie visible de l'iceberg, nous apprend un article publié le 7 avril dans Science et qui lève le voile sur l'omniprésence des virus à ARN dans l'environnement marin.
«Il existe 103 familles de virus à ARN, mais nous connaissons surtout les 47 familles qui comptent des espèces provoquant des maladies chez les humains, les animaux et les plantes. Les autres virus à ARN sont méconnus, même s'ils forment la grande majorité des espèces de virus à ARN», souligne Alexander Culley, professeur au Département de biochimie, de microbiologie et de bio-informatique de l'Université Laval et chercheur au Centre d'études nordiques, à l'Institut de biologie intégrative et des systèmes et à Takuvik.
Le professeur Culley fait partie d'un groupe d'une trentaine de chercheurs, dirigé par Matthew Sullivan de l'Ohio State University, qui a mené une vaste étude sur les virus à ARN présents dans l'environnement marin. «Nous avons utilisé 35 000 échantillons d'eau prélevés entre 2009 et 2013 lors de l'expédition scientifique Tara Oceans. Grâce à l'échantillonnage rigoureux et systématique des cinq océans réalisé lors de cette expédition, nous avons été en mesure d'ajouter de nouvelles espèces au catalogue des virus à ARN, de revoir leur taxonomie, d'étudier leur origine évolutive et de documenter leur biogéographie d'un pôle à l'autre», explique le professeur Culley.
Pour y arriver, les chercheurs ont dû repérer, séquencer et comparer une quantité astronomique de fragments d'ARN viral – 28 000 milliards de bases – présents dans les échantillons d'eau. «Il a fallu recourir à des centres de données massives, notamment ceux de l'Ohio State University et du Genoscope en France, pour réaliser les analyses», précise le professeur Culley.

Les chercheurs ont réalisé leurs analyses à partir de 35 000 échantillons d'eau prélevés entre 2009 et 2013 lors de l'expédition scientifique Tara Oceans. Les équipes qui se sont succédé à bord de la goélette Tara ont effectué un échantillonnage rigoureux et systématique des cinq océans.
— Yohann Cordelle
Et, qu'ont révélé ces analyses? «Les virus à ARN sont présents et abondants dans tous les océans de la planète. De plus, leur diversité est beaucoup plus grande que ce que l'on croyait auparavant, répond le chercheur. Jusqu'à présent, 4300 espèces des virus à ARN avaient été classifiées. Grâce à nos travaux, quelque 5500 nouvelles espèces pourraient être reconnues. Certaines appartiennent à un embranchement qui n'avait jamais été signalé et qui pourrait être le chaînon manquant dans l'évolution des virus à ARN.»
Spécialiste de l'écologie virale aquatique et de l'océanographie microbienne, Alexander Culley ne cache pas sa passion pour les virus à ARN, qu'il présente d'ailleurs comme «les parasites les plus efficaces du monde». «Il ne faut pas oublier que tous ces virus dépendent de leurs hôtes pour se multiplier, rappelle-t-il. Il nous reste donc beaucoup de travail à faire pour trouver quelles espèces ils infectent.»
Une des particularités des virus à ARN est qu'au terme de leur cycle de réplication, la plupart détruisent la cellule infectée. «Lorsque l'hôte est une bactérie ou un organisme unicellulaire comme le phytoplancton, les éléments nutritifs qu'il contenait sont remis en circulation et les flux d'énergie océaniques sont court-circuités. L'omniprésence des virus à ARN dans l'environnement marin nous force à remettre en question le modèle classique de la chaîne alimentaire phytoplancton-zooplancton-poisson-mammifère. Elle pourrait aussi avoir une incidence sur les flux d'énergie utilisés dans les modèles climatiques.»
— Alexander Culley
Malgré la nature essentiellement fondamentale de cette étude, le professeur Culley croit qu'elle pourrait aussi avoir des retombées pratiques. «Les virus à ARN font des transformations biochimiques uniques au monde. Le catalogue de gènes que nous avons constitué pourrait être une mine intéressante à explorer pour les entreprises qui font de la bioprospection.»
Le professeur Culley croit que l'article de Science n'est qu'un premier pas dans la découverte des virus à ARN qui vivent dans les océans. «Comme nous n'avons pas cherché partout, il reste probablement des milliers d'autres espèces à découvrir. C'est pourquoi il faut continuer les recherches et surveiller l'évolution du virome – l'ensemble des génomes des virus – dans les océans. Il y a peut-être là des pandémies qui se déroulent à notre insu.»