Il y a 10 ans, l'Université Laval comptait à peine une quinzaine de chercheurs réunis au sein de trois équipes départementales qui menaient des travaux dans l'un des domaines aujourd'hui placés sous l'enseigne de l'intelligence artificielle. Certains de ces chercheurs avaient déjà entrepris de faire tomber les cloisons disciplinaires pour accélérer le développement des connaissances et pour former une relève capable de répondre aux besoins émergents de la société. François Laviolette était de ceux-là. Et, mieux que quiconque, il avait pressenti l'essor qu'allait connaître l'intelligence artificielle et l'impérieuse nécessité de regrouper les troupes pour permettre à l'Université Laval de participer à cette révolution.
François Laviolette nous a quittés le 26 décembre à l'âge de 59 ans. Son legs est majeur, affirment ceux qui l'ont côtoyé. «L'écosystème de la recherche en intelligence artificielle de l'Université Laval ne serait pas ce qu'il est aujourd'hui sans son apport. Il en a été le leader et le grand bâtisseur», estime Christian Gagné, professeur au Département de génie électrique et de génie informatique.
Mathématicien de formation, François Laviolette a enseigné pendant 11 ans au collège Jean-de-Brébeuf de Montréal avant d'obtenir un poste de professeur au Département d'informatique et de génie logiciel de l'Université Laval en 2002. Il se démarque rapidement par sa capacité de transformer des idées en algorithmes d'apprentissage automatique, une expertise qui sera de plus en plus recherchée à mesure que l'intelligence artificielle deviendra un incontournable dans toutes les sphères scientifiques. Ses travaux collaboratifs, réalisés avec des chercheurs de plusieurs facultés, recouperont les domaines de l'assurance, de la santé, de la bio-informatique, des sciences de la vie et de l'aérospatiale.
Jacques Corbeil, spécialiste en génomique des maladies infectieuses à la Faculté de médecine, compte parmi les chercheurs qui ont collaboré étroitement avec François Laviolette. «En 2006, un de mes étudiants-chercheurs et moi cherchions quelqu'un qui connaissait bien la théorie des graphes pour nous aider à résoudre un problème d'assemblage de séquences génomiques. Nous avons découvert qu'il y en avait un à l'Université Laval. Nous avons rencontré François et la connexion a été instantanée. Nous travaillons ensemble depuis et cette période a été la plus créative et la plus productive de ma carrière. Nous avons eu 18 étudiants-chercheurs en codirection. François a été extrêmement important pour moi comme collègue. C'est aussi un de mes meilleurs amis, presque un frère.»
La richesse des collaborations qu'établissait François Laviolette venait du fait qu'elles allaient dans les deux sens, poursuit le professeur Corbeil. «Il avait une grande curiosité pour nos travaux en génomique de la santé. Il se réjouissait que la puissance de l'intelligence artificielle puisse servir la société. De mon côté, je croyais que j'étais bon en maths jusqu'à ce que je rencontre François. Au fil du temps, nous avons appris le langage de l'autre. C'était une joie de travailler avec lui. Il avait compris l'équation la plus importante: plus tu as de bonheur, plus tu le partages et plus tu en as.»
François Laviolette menait une carrière de chercheur qui aurait pu le satisfaire, mais, en raison de sa personnalité, il s'est naturellement retrouvé dans la locomotive de tête de l'intelligence artificielle à l'Université Laval. «C'est un leader profondément humain qui savait comment aller chercher les gens et les rassembler autour d'objectifs communs», dit Christian Gagné. C'est sous l'impulsion du professeur Laviolette qu'a été créé, en 2016, le Centre de recherche en données massives (CRDM) qui regroupe maintenant une cinquantaine de chercheurs de différentes disciplines. Il participera ensuite à la création de l'Observatoire international sur les impacts sociétaux de l'intelligence artificielle et du numérique (2018), de l'Institut intelligence et données (2020) et de deux chaires de recherche.
Au cours des dernières années, le professeur Laviolette a développé une sensibilité grandissante pour les aspects éthiques et sociétaux de l'intelligence artificielle. «C'est le premier chercheur de la Faculté des sciences et de génie qui a participé aux activités de l'Institut d'éthique appliquée, signale Lyse Langlois, qui en est la directrice. Il a ensuite convaincu d'autres chercheurs de se joindre à nous», ajoute la spécialiste de l'éthique organisationnelle du Département des relations industrielles, qui dirige l'Observatoire international sur les impacts sociétaux de l'intelligence artificielle et du numérique.
«Au départ, François voyait surtout le côté positif de l'intelligence artificielle et les bénéfices que la société pouvait en tirer, se souvient la professeure Langlois. Sa curiosité et son ouverture l'ont amené à en considérer les risques. Sa vision d'une intelligence artificielle transparente, responsable et socialement acceptable a progressivement émergé.»
Cette vision de l'intelligence artificielle survivra à François Laviolette. Dans un élan spontané, ses proches collaborateurs ont créé le Fonds de bourses François-Laviolette destiné à soutenir des étudiants-chercheurs. Le professeur Laviolette en a lui-même défini les objectifs peu de temps avant son décès. Déjà, un peu plus de 120 000$ ont été amassés.
«Cette fondation sera le bateau amiral qui va pouvoir me remplacer, qui va pouvoir pousser plus avant cette importante notion que je tente d'inculquer à la société québécoise depuis cinq ans, et plus fortement depuis que je sais que je suis atteint du cancer, disait-il lors d'un événement hommage à son intention qui a eu lieu à la fin novembre. Les données sont une ressource naturelle. Nous sommes à la croisée des chemins. Il y a possibilité qu'un contrat social sur les données soit signé dans les années qui viennent avec toute la société québécoise. Tous les ingrédients sont là.»