
Le débit des rivières arctiques, comme la rivière Owl située dans le parc national Auyuittuq sur l'île de Baffin, pourrait révéler l'état du pergélisol dans tout leur bassin versant.
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Le pergélisol – le sol gelé en permanence pendant au moins deux ans – contient d'énormes quantités de matière organique. Certains scientifiques considèrent que le réchauffement climatique prévu et le dégel du pergélisol qui s'ensuivra constituent une bombe climatique à retardement. En effet, si les prévisions se réalisent, les bactéries du sol dégraderont la matière organique présente et produiront l'équivalent de 1,5 milliard de tonnes de gaz à effet de serre par année, provoquant ainsi un réchauffement du climat qui accélérera le dégel du pergélisol.
C'est pour cette raison qu'il est important de suivre de près le dégel du pergélisol dans les régions arctiques, mais la tâche n'est pas simple. «Le territoire est vaste et difficile d'accès, de sorte que les cartes des zones de pergélisol datent souvent d'une trentaine d'années. Elles sont peu précises et elles sont figées dans le temps, alors que l'épaisseur du pergélisol et sa répartition évoluent d'année en année», souligne Flore Sergeant, doctorante au Département de géologie et de génie géologique et étudiante-chercheuse au Centre d'études nordiques et à CentrEau.
Les travaux menés par la doctorante visent à améliorer les connaissances sur la vitesse de dégel du pergélisol par le biais d'un indicateur indirect: l'écoulement de l'eau dans la zone active du sol. Cette couche se trouve au-dessus du pergélisol et, contrairement à celui-ci, elle dégèle en été, laissant l'eau souterraine s'écouler librement. «Avec le dégel du pergélisol, il y a augmentation de l'épaisseur de la couche active dans laquelle l'eau souterraine circule. Après un épisode de pluie, le volume d'eau souterraine qui rejoint une rivière devrait donc augmenter, tout comme la vitesse à laquelle ce volume diminue (constante de récession). Cette constante pourrait donc nous renseigner sur l'état du pergélisol dans tout le bassin versant d'une rivière, ce qui représente souvent plusieurs milliers de kilomètres carrés», explique l'étudiante-chercheuse.
Pour tester cette approche, Flore Sergeant a utilisé des données provenant de plusieurs pays disposant de stations de jaugeage en Arctique. «Ces stations mesurent le débit des rivières. On considère que trois jours après un épisode de précipitation, l'apport des eaux de ruissellement est pratiquement nul et que l'eau qui coule dans la rivière provient de la zone active», précise-t-elle.
L'étudiante-chercheuse a analysé des données provenant de 336 rivières et couvrant la période allant de 1970 à 2000. Les résultats, qui viennent de paraître dans le Journal of Hydrology, indiquent que la constante de récession a augmenté significativement dans 56 rivières, mais qu'elle a diminué dans 139 rivières. Pour les 141 rivières restantes, la tendance est incertaine.
— Flore Sergeant, au sujet de la méconnaissance de l'état actuel du pergélisol
«Il ne faut surtout pas en conclure que l'épaisseur du pergélisol est stable ou en augmentation dans les bassins versants de la plupart des rivières arctiques, précise Flore Sergeant. Notre modèle fonctionne bien dans les zones où le pergélisol est continu. Ailleurs, dans les zones où le pergélisol est discontinu ou sporadique, d'autres variables comme la topographie, le couvert de neige ou la quantité de matière organique dans le sol viennent brouiller la relation entre l'épaisseur de la couche active et la constante de récession. Il faut inclure ces variables dans notre modèle pour en améliorer la performance. C'est à cela que je consacre la dernière partie de ma thèse. Si nous y parvenons, nous disposerons d'une façon de mieux connaître l'état du pergélisol sur de vastes territoires arctiques», conclut-elle.
L'article paru dans le Journal of Hydrology est signé par Flore Sergeant, René Therrien et François Anctil, de l'Université Laval, et Ludovic Oudin et Anne Jost, de Sorbonne Université.