
Depuis sa sortie, Shut Up You're Pretty a remporté un lot de prix et de récompenses en Ontario, dont le prestigieux Trillium Book Award. Le livre a aussi été sacré l'un des meilleurs romans de 2019 par le Globe and Mail et Téa Mutonji, nommée auteure émergente de l'année par l'Ontario Book Publishers Organization.
Les lecteurs francophones pourront enfin découvrir ce récit grâce à une traduction qui vient de sortir chez Tête première. «Quand j'ai écrit ce livre, je ne savais même pas que des gens le liraient un jour, admet candidement Téa Mutonji, jointe à New York, où elle vit désormais. Le fait qu'il soit traduit en français, ça me fait trop bizarre! Je n'aurais jamais cru que c'était possible.»

Téa Mutonji, auteure de Shut Up You're Pretty, et Mélissa Verreault, écrivaine, traductrice et chargée de cours au Département de littérature, théâtre et cinéma
— Sarah Bodri et Hélène Bouffard
Ta gueule, t'es belle aborde cette étape charnière du passage de l'adolescence à la vie adulte. La narratrice, inspirée en partie de l'auteure, est une immigrante congolaise qui habite le quartier Scarborough, à Toronto. Autour d'elle gravitent plusieurs personnages, dont ses parents, avec qui elle a une relation tendue, son amie, avec qui elle fait les 400 coups, et sa cousine, forcée de se marier parce qu'elle est enceinte.
Non, l'histoire n'est pas toujours rose dans ce récit composé de courtes tranches de vie. Réfugiés, drogues, prostitution, pauvreté, gangs de rue, enfants laissés à eux-mêmes: Téa Mutonji dépeint avec un humour parfois déroutant des réalités difficiles.
Dès sa première lecture de Shut Up You're Pretty, Mélissa Verreault est tombée en amour avec la plume et le style de l'auteure. «J'ai dévoré le livre en une demi-journée, raconte-t-elle. Après quelques lignes, je voyais déjà les problèmes de traduction auxquels je devrais faire face. Pour moi, c'était l'indice que ce serait un projet enthousiasmant.»
Ce qui lui a donné le plus de fil à retordre? Le ton spontané et les nombreuses expressions de la vie courante que l'on trouve dans la narration. «La langue familière est la plus dure à traduire, puisqu'elle oblige à faire des choix et à localiser le texte, explique Mélissa Verreault. Notre but n'était pas de québéciser l'histoire pour faire semblant qu'elle se déroule à Montréal. On voulait qu'elle demeure ancrée dans le quartier Scarborough, qui est un personnage en soi.»
Les lieux, tout comme les noms des personnages, n'ont pas été modifiés dans la version française. En plus d'expressions familières, le texte comporte quelques anglicismes. Contrairement à la pratique d'édition courante, ces mots ne sont pas présentés en caractères italiques. «On ne voulait pas attirer l'attention du lecteur sur les anglicismes. Le langage dans le livre ressemble à celui utilisé au Québec, particulièrement dans les grands centres, où le français et l'anglais se mêlent. Cette idée d'une langue fluide, hybride et assumée rejoint bien l'un des thèmes du récit, qui est la complexité de l'identité. Le roman de Téa rappelle que les choses ne sont pas fixes, coincées dans une case; il est possible d'aller d'une identité de genre à l'autre. C'est pareil avec la langue», souligne la traductrice.
Outre l'identité et la fluidité de genre, Ta gueule, t'es belle aborde des thèmes qui font écho à l'actualité, comme l'immigration et le racisme. «J'ai commencé l'écriture du livre en 2017-2018, relate Téa Mutonji. Avec le mouvement #MeToo, il était difficile de m'éloigner du climat qui m'entourait. En ce qui concerne le racisme et l'immigration, je ne m'attendais pas à ce que ces thèmes deviennent si importants dans l'actualité. Je n'ai pas écrit ce livre en me demandant de quelle façon il serait perçu dans le monde, mais plutôt ce que j'avais envie de dire dans ma vie à moi.»
Pour Mélissa Verreault, c'est justement ce qui fait la force du roman. «L'universalité du livre, c'est son authenticité. Il a été écrit par une auteure unique qui nous offre son point de vue tout aussi unique sur le monde. Le danger, quand on écrit, est de trop vouloir rendre compte des réalités qui nous entourent en espérant joindre le plus de gens possible. C'est là qu'on se perd et que le texte perd de l'intérêt.»