À première vue, la situation du lion de mer australien ne semble pas dramatique. Après tout, cette espèce d'otarie compte quelque 10 000 individus. Pourtant, l'Union internationale pour la conservation de la nature a attribué le statut «en danger» à cette espèce dont les deux seules populations existantes vivent sur les côtes sud et ouest de l'Australie. En effet, malgré l'adoption de nombreuses mesures de protection, les effectifs de l'espèce continuent de plonger. Ainsi, au cours des trois dernières générations, le nombre de petits a diminué de plus de 60%.
La cause? La chasse intensive qui avait cours il y a deux siècles aurait entraîné cette espèce dans un goulot d'étranglement génétique dont elle ne parvient plus à s'extirper, avance une équipe internationale de chercheurs dont font partie Anne-Laure Ferchaud, Éric Normandeau et Louis Bernatchez, du Département de biologie et de l'Institut de biologie intégrative et des systèmes de l'Université Laval. L'équipe arrive à ce constat au terme d'analyses génomiques, publiées dans la revue Animal Conservation, qui ont permis de documenter l'histoire reproductrice de cette espèce.
Ces analyses révèlent que le nombre d'individus reproducteurs a été abruptement réduit par un facteur 10 dans les deux sous-populations de l'espèce au cours des derniers siècles. «La cause la plus probable est la chasse intensive menée au lion de mer australien aux 18e et 19e siècles» , souligne Anne-Laure Ferchaud. Dans les populations animales, le passage dans un goulot d'étranglement de la sorte ne se fait pas toujours sans heurts. Il peut y avoir dérive génétique, augmentation de la fréquence d'allèles délétères, disparition d'allèles facilitant l'adaptation à de nouvelles conditions environnementales et accroissement de la consanguinité.
Dans les colonies qu'ils ont étudiées, les chercheurs ont constaté que le nombre de spécimens qui contribuent à la reproduction est environ la moitié du nombre d'otaries présentes. «Certains individus ne se reproduisent pas alors que certains mâles s'accouplent avec plusieurs femelles. Cela contribue à réduire encore davantage la diversité génétique dans la génération suivante, précise Anne-Laure Ferchaud. Dans ces colonies, la population efficace se situe nettement en deçà de 1000, le seuil minimal pour maintenir la capacité évolutive. La population efficace est devenue trop petite pour contrebalancer l'érosion de la diversité génétique.»
Il se fait tard pour le lion de mer australien, mais il est encore temps d'agir, estime la chercheuse. Dans un premier temps, il est important d'appliquer rigoureusement les mesures de conservation adoptées pour l'espèce de façon à stopper le déclin de ses effectifs.
Cela ne recréera pas la diversité génétique perdue, souligne-t-elle. Pour renverser la tendance qui s'est amorcée il y a deux siècles, il faudrait envisager un sauvetage génétique de l'espèce. «Cela pourrait se faire en capturant des spécimens et en les relocalisant dans des colonies distantes avec lesquelles il n'y a normalement pas d'échanges génétiques. Il y aurait toutefois plusieurs précautions à prendre afin de s'assurer que les individus relocalisés viennent enrichir la diversité génétique de la population d'accueil sans y apporter d'allèles délétères. Il y a des risques, mais si on laisse aller les choses et que les effectifs du lion de mer australien continuent de décroître, l'érosion génétique pourrait entraîner l'espèce dans un vortex qui conduit à l'extinction.»