
Fouilles archéologiques à Jérusalem en 2012. La question des origines d’Israël dans la nouvelle archéologie n’est pas liée à un site particulier. Elle est le résultat de campagnes de fouilles dans les montagnes de Juda à partir de 1990. Les résultats ont remis en question les certitudes anciennes. Presque rien de ce qu’affirme l’Ancien Testament ne semble s’être réellement passé ou avoir eu lieu.
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Depuis quelques années, une nouvelle manière de faire de l’archéologie a sérieusement mis en doute la vision traditionnelle de l’histoire biblique, surtout celle de l’Ancien Testament. Comment comprendre, à la lumière de la nouvelle archéologie, les grands événements racontés par la Bible comme les déplacements des patriarches, l’esclavage en Égypte, la libération, puis la conquête du pays de Canaan? En effet, les rapports de fouilles n’ont trouvé aucune trace de l’esclavage ou de la sortie d’Égypte d’un groupe hébreu. Les villes dont la Bible raconte la destruction, comme Jéricho, n’étaient pas habitées à l’époque attribuée au récit. Même la royauté de David et Salomon est remise en question.
Ces questions, l’exégète Hervé Tremblay, professeur d’Ancien Testament au Collège universitaire dominicain d’Ottawa, a tenté d’y répondre durant le séminaire en ligne qu’il a animé le 25 novembre sur le thème «Les origines d’Israël à la lumière de la Bible et de la nouvelle archéologie». La présentation était organisée par la Chaire de leadership en enseignement Marcelle-Mallet en exégèse biblique de l’Université Laval.
En quelques mots, pendant des siècles les croyants ont lu la Bible en pensant que tout son contenu était rigoureusement historique. Jusqu’au milieu du 19e siècle, il n’existait aucune autre source disponible sur le monde du Proche-Orient ancien qui aurait pu amener à penser différemment. L’archéologie biblique a changé considérablement autour de 1980-1990. Os, pollens, tissus, déchets, tout était recueilli, analysé et placé dans un contexte plus large, sans aucun préjugé ni préconception, en d’autres termes sans interférence confessionnelle ou politique.
«Les résultats des fouilles ont été surprenants, raconte Hervé Tremblay. On a utilisé des méthodes nouvelles et on a fouillé des lieux jusque-là sous exploités. Les résultats ont remis en question les certitudes anciennes. Presque rien de ce qu’affirme l’Ancien Testament ne semble s’être réellement passé ou avoir eu lieu. Cela est vrai de toutes les périodes principales de l’histoire d’Israël, mais tout spécialement de l’origine du peuple d’Israël. Ces nouvelles façons de voir ont causé un débat houleux dans le monde savant d’abord, puis dans un public plus large.»
De la conquête militaire à la révolte paysanne
Différentes théories tentent d’expliquer l’origine d’Israël. Le plus ancien modèle est celui de la conquête militaire. Il se base sur une lecture traditionnelle et directe du texte biblique. Le livre de Josué apparaît comme une sorte de compte rendu d’une campagne militaire en trois étapes. «Du point de vue archéologique, explique Hervé Tremblay, il y a peu de lien entre les sites détruits autour du 13e siècle et ceux mentionnés dans le livre de Josué. Du point de vue biblique, le modèle de la conquête est littéral, simpliste et manque de crédibilité.»
L’infiltration pacifique est un autre modèle ancien. Celui-ci veut que les premiers israélites, des pasteurs nomades, aient migré en Canaan, sur plusieurs siècles, pour profiter du pâturage saisonnier. Ils auraient noué des relations amicales avec les premiers occupants et en seraient venus à cultiver la terre. «La Bible insiste sur une occupation initiale du pays impliquant un conflit militaire imposant, souligne le chercheur. De plus, le principe selon lequel les peuples nomades évoluent nécessairement pour se sédentariser et pratiquer l’agriculture est aujourd’hui dépassé.»
Un troisième modèle est celui de la révolte paysanne. Dans ce scénario, une aristocratie urbaine aurait opprimé les travailleurs paysans ruraux. L’élément déclencheur de la révolte serait survenu lorsqu’un groupe de paysans mécontents venu de l’extérieur se serait joint au premier en affirmant avoir été libéré de l’esclavage par leur dieu Yahvé. Ce groupe mixte serait devenu les Hébreux.
Une autre théorie veut que le facteur principal de la révolte ait été l’insécurité et l’oppression générale. «Ces versions sont minées par de nombreux problèmes, affirme Hervé Tremblay. Aucun texte, biblique ou autre, ne suppose qu’une grande quantité de Cananéens soient devenus adorateurs de Yahvé.»
Un long processus évolutif
Depuis 1980, les chercheurs ont proposé une série de modèles pour tenter d’expliquer l’émergence de l’Israël ancien. Ces modèles partagent l’accord général qui veut que les textes bibliques aient peu de valeur pour reconstruire l’histoire de cette émergence. Ils font ressortir que l’émergence d’Israël a été un long processus évolutif. Ce processus est placé dans le contexte d’un écroulement général des systèmes politiques et économiques à l’époque du bronze tardif. Ce fut un phénomène interne.
«Une série de découvertes ont été faites lors de fouilles archéologiques sur des sites datés entre 1200 et 1000 avant Jésus-Christ sur les hautes terres de Canaan, dit-il. Les éléments considérés typiquement israélites comprennent notamment la forme elliptique de plusieurs villages, l’usage de silos souterrains, les terrasses pour l’agriculture dans les collines et l’absence d’os de porc. Pour Finkelstein, ils deviennent israélites au moment où ils cessent de manger du porc. C’est le premier signe qu’ils commencent à se distinguer des Cananéens.»
Selon le conférencier, l’émergence d’Israël est sans doute plus complexe que ce que l’on pense souvent. Les différentes théories ignorent ou écartent plus ou moins entièrement les récits bibliques. «Il semble y avoir un problème chronologique entre les tentatives de plusieurs spécialistes pour lier l’émergence d’Israël avec ces installations dans les collines de la fin du 11e siècle, avance-t-il. Ces approches n’arrivent pas à donner la raison pour laquelle des groupes se seraient installés dans une région si inhospitalière faite de ronces, d’acacias et de pierres. Il n’y a rien autour de Jérusalem. Ces approches n’arrivent pas non plus à expliquer ce qui a amené ce peuple à souscrire à une identité religieuse radicalement différente.»
Certains chercheurs, dont Hervé Tremblay, croient que la religion expliquerait l’union de groupes humains et sociaux divers en ce qui allait devenir un seul peuple. «Un élément essentiel à considérer dans le débat est l’importation de Yahvé, affirme-t-il, une divinité qui n’était pas indigène au pays de Canaan. Le problème, c’est qu’il y a peu de données archéologiques sur cette question importante. Les arguments portent aussi sur l’absence de temple à l’époque du fer, en net contraste avec le bronze tardif, et l’absence, semble-t-il, de culte public et organisé. Ce serait le signe qu’une nouvelle religion est en train de naître, marquée par une idéologie plus égalitaire. Or, si les proto-israélites étaient des Cananéens, ce changement est difficile à comprendre. Il faut postuler un apport externe, assez considérable selon les uns pour justifier qu’une divinité parmi tant d’autres ait pu l’emporter.»
Selon l’exégète, si les données archéologiques sont solides, bien qu’il reste un espace à l’interprétation, ce sont les répercussions sur la Bible et les croyants qui la lisent qui sont au cœur du débat actuel. Sur ce point, le défi reste entier et le chantier est ouvert pour repenser la nature même de la Bible et sa relation avec l’histoire.
«De notre part, conclut-il, nous préconisons une libération de la Bible. Il nous semble qu’il faut la libérer des recherches scientifiques de tout acabit. Afin de la laisser être elle-même et nous parler, que les scientifiques fassent leur travail et que les exégètes et les croyants fassent le leur, sans interférence indue.»