Dans le sud du Québec, l'ours noir ne fait pas la fine gueule. Il mange de tout: des petits fruits, des plantes herbacées, des glands, des faines, des noisettes. De plus, lorsque l’occasion se présente, il ne lève pas le museau sur des insectes, des petits rongeurs ou des faons. Au cours des dernières années, à la faveur des changements climatiques, l’ours a étendu son aire de répartition jusqu’aux confins du Nunavik, là où une bonne partie de ce qui compose son régime alimentaire dans le Sud n’existe pas. Comment parvient-il à assurer sa subsistance dans ces nouveaux habitats? En devenant davantage carnivore, démontre une étude qui vient de paraître dans le Canadian Journal of Zoology.
Michaël Bonin et Steeve Côté, du Département de biologie, et Christian Dussault, du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs, tous trois membres de l'équipe du projet Caribou Ungava, arrivent à ce constat après avoir étudié, indirectement, le régime alimentaire de 57 ours noirs. «Nous avons mis à profit l’adage “on est ce que l’on mange” pour étudier, à partir de la signature isotopique de leurs poils, la part des protéines animales dans l’alimentation de ces ours, explique Michaël Bonin. Pour ce faire, nous avons mesuré la concentration d’un isotope stable, l’azote 15, dans leur pelage. Plus l’ours se nourrit d’animaux, plus la concentration d’azote 15 dans ses poils est élevée.
Les chercheurs ont donc prélevé quelques poils d’ours capturés le long d’un gradient sud-nord s’étendant depuis le 45e parallèle, dans la Gatineau, jusqu’au 61e parallèle, au Nunavik. Chacun de ces poils a été coupé en trois, chaque section correspondant au tiers de la période pendant laquelle les ours sont actifs. Les analyses indiquent qu’il existe une forte corrélation entre la latitude et la concentration d’azote 15 dans ces poils.
«Plus les ours vivent dans un habitat nordique, plus la part des protéines animales dans leur alimentation est grande, résume Michaël Bonin. Cette relation est vraie en toutes saisons. Nous croyons que cet apport en protéines animales lui permet d’accumuler suffisamment de réserves pour passer l’hiver, en dépit du fait qu’il dispose de moins de temps pour y arriver.»
Du caribou au menu
Les isotopes stables ne permettent pas de déterminer vers quelles sources de protéines animales l’ours se tourne pour subsister dans le Nord. «Il peut s’agir de petits mammifères tels que des lemmings ou encore d’œufs de bernaches, de canards ou d’autres oiseaux migrateurs, avance le doctorant. Nous savons aussi que l’ours peut se nourrir de jeunes caribous ou de carcasses de caribous adultes. Mes travaux de doctorat permettront de déterminer l’importance de la prédation du caribou par l’ours ainsi que ses répercussions sur la dynamique de population de ce cervidé.»
L’étudiant-chercheur ne croit pas que les ours noirs aient modifié leurs préférences alimentaires en migrant vers le nord. «L’ours est un omnivore opportuniste dont le régime alimentaire est fortement influencé par la disponibilité locale de nourriture. C'est la flexibilité de ses stratégies alimentaires qui lui a permis d'étendre son aire de répartition vers le nord.»