
La salicaire commune présente quelques-unes des caractéristiques des plantes envahissantes nuisibles, dont la prolificité. Les fleurs portées par chaque tige de cette plante produisent jusqu'à 22 000 graines par année et un plant compte de 1 à 50 tiges.
— Jacques Brisson
Professeur à l'École supérieure d'aménagement du territoire et de développement régional et chercheur au Centre de recherche en aménagement et développement, Claude Lavoie vient de faire paraître, aux Publications du Québec, avec la collaboration de Gilles Ayotte et Elisabeth Groeneveld, 50 plantes envahissantes, protéger la nature et l'agriculture. Cet ouvrage fait la somme des 20 années d'études et de recherches qu'il a consacrées à l'écologie et à la gestion de ces espèces. «Lorsque j'ai commencé ma carrière universitaire à la fin des années 1990, nous étions à l'aube de la recherche sur les plantes envahissantes. Cette niche était libre au Québec et je me suis lancé», explique celui qui avait consacré sa maîtrise et son doctorat aux fluctuations de la limite nordique des arbres au Québec.
Si on examine la question avec un très grand angle, toutes les plantes qui nous entourent aujourd'hui sont venues d'ailleurs puisque les dernières glaciations avaient fait table rase de la végétation. La différence entre les espèces qui ont patiemment colonisé le territoire après le retrait du glacier et les espèces exotiques introduites volontairement ou accidentellement est que ces dernières ont profité de l'activité humaine et de la transformation des habitats naturels qui s'ensuit pour s'installer à vitesse grand V. «La grande majorité est restée discrète, mais d'autres ont profité des espaces nouvellement défrichés, de l'absence d'ennemis naturels ou de la présence de ressources inexploitées pour se transformer en envahisseurs, parfois au point de devenir carrément nuisibles à la faune, à la flore ou aux humains. Nous avons créé des habitats propices à ces invasions», résume Claude Lavoie.
S'il fallait dresser le portrait-robot de ces envahisseurs nuisibles, quelles en seraient les principales caractéristiques? «Ce sont souvent des plantes qui croissent rapidement et qui atteignent une grande taille, elles produisent un très grand nombre de graines, mais elles peuvent aussi se multiplier de façon végétative, répond le chercheur. Nos pires envahisseurs, le roseau commun, la renouée japonaise et le chiendent commun, sont des plantes à rhizomes qui forment d'immenses clones. La lutte contre les plantes envahissantes est difficile, mais lorsqu'elle se déplace sous la surface du sol, le défi est encore plus grand.»
C'est pour répondre aux préoccupations des citoyens, des producteurs agricoles, des agronomes, des aménagistes, des biologistes et des gestionnaires de l'environnement aux prises avec des envahisseurs nuisibles que Claude Lavoie a pris soin d'inclure, pour chaque plante décrite dans son ouvrage, une section sur les moyens éprouvés d'en contenir les ardeurs. «Il est à peu près impossible d'éradiquer une espèce envahissante, à moins d'y consacrer beaucoup de ressources, estime-t-il. Au Québec, malgré la lutte menée contre plusieurs de ces espèces, une seule, la berce du Caucase, est en régression. Il est plus réaliste de fixer un seuil d'abondance acceptable pour une espèce en tenant compte des moyens disponibles pour la combattre. C'est une lutte perpétuelle qui est exigeante pendant les premières années, mais qui devient vivable par la suite.»
Le professeur Lavoie souligne qu'en matière de plantes envahissantes, il faut aller au-delà des apparences et bien choisir ses combats. «Certaines espèces peuvent devenir très abondantes dans certains milieux, mais il faut se demander quelle est l'ampleur des dommages réels qu'elles causent. Comme les ressources sont limitées, il faut concentrer les efforts sur le contrôle des plantes qui sont de solides nuisances.»
Malgré tout, le chercheur ne peut cacher une certaine admiration pour ces plantes qu'il se plaît à nommer «ces fascinants envahisseurs». «Nous sommes très bien équipés pour lutter contre ces espèces et, pourtant, elles résistent toujours. Qui sait, peut-être un jour aurons-nous besoin de leurs incroyables facultés d'adaptation pour restaurer des sites dégradés où aucune autre espèce ne sera en mesure de croître.»