
La migration d'un axone (la partie allongée d'un neurone) qui cherche à se connecter à sa cible dans le cerveau est un bon exemple de comportement cellulaire nécessitant une voie de communication rapide et réversible.
— Gerry Shaw
Dès la conception, le bon fonctionnement d'un organisme complexe comme l'être humain nécessite des communications efficaces entre les cellules, rappelle le professeur Bisson. «Les cellules doivent "se parler" pour bien s'organiser, pour migrer au bon endroit, pour s'attacher là où elles doivent le faire et pour exprimer les bons gènes au bon moment. Si ces communications font défaut, il peut s'ensuivre des maladies pendant l'embryogenèse ou plus tard dans la vie.»
Parmi les composantes essentielles de ce système de communication se trouvent les récepteurs de la surface cellulaire. Pour les besoins de leur étude, les chercheurs se sont intéressés aux récepteurs tyrosine kinase (RTK), une famille qui comprend 58 récepteurs différents. «On en trouve probablement dans toutes les cellules du corps humain, souligne le professeur Bisson. Ils interviennent dans la formation des organes et des vaisseaux sanguins, dans la migration cellulaire et dans les mécanismes qui assurent que la cellule reste en vie.»
Comme présenté dans la partie gauche de l'illustration ci-dessous, chaque récepteur RTK a une partie extracellulaire qui sert d'antenne pour repérer, par exemple, des hormones ou des facteurs de croissance qui circulent dans l'organisme. L'autre partie, intracellulaire celle-là, comprend une kinase. Cette enzyme agit en ajoutant des ions phosphate à des endroits ciblés de molécules qui se trouvent dans la cellule, régulant ainsi certaines de leurs fonctions. Dans l'illustration, cette molécule est la NCK. «Il s'agit d'une molécule "velcro" à laquelle s'accolent d'autres molécules (les formes jaunes et bleues) qui doivent être transportées à des endroits précis dans la cellule pour être actives», précise Nicolas Bisson.

La partie centrale de l'illustration montre comment le récepteur RTK intervient pour mettre à on l'interrupteur de cette voie de signalisation. Lorsqu'une molécule comme une hormone (les croissants bruns) s'accole à l'antenne du récepteur, elle force l'appariement de deux récepteurs RTK. À l'intérieur de la cellule, ce rapprochement permet à chaque RTK d'ajouter un groupement phosphate sur son partenaire. La configuration spatiale de l'ensemble permet l'amarrage de la molécule NCK et la fonction cellulaire recherchée peut être réalisée. Mais comment la cellule peut-elle y mettre un terme?
«On sait que les récepteurs peuvent être désassemblés ou détruits par la cellule, répond le chercheur. Cette façon de faire signifie toutefois qu'il faudra plusieurs heures pour en recréer de nouveaux. Or, nous savons que les voies de communication peuvent être réactivées rapidement. Il devait donc exister une autre façon moins draconienne d'interrompre cette voie de communication.»
La réponse se trouve dans la partie droite de l'illustration. Les travaux in vitro et in vivo réalisés par l'équipe de Nicolas Bisson et des collaborateurs montrent que la kinase ajoute des groupements phosphate sur l'adaptateur NCK et, ce faisant, déclenche le largage des molécules qui y étaient associées. Chaque paire de récepteurs reste en place, ce qui permet une réactivation très rapide de la voie de communication.
Outre son intérêt fondamental pour mieux comprendre le fonctionnement des cellules, cette découverte pourrait avoir des répercussions cliniques, mais le chercheur estime qu'il est encore trop tôt pour en mesurer la portée. «Les récepteurs RTK sont impliqués dans des maladies comme le cancer du sein, le cancer du poumon et le diabète. On sait, par exemple, qu'un RTK, le HER2, est surexprimé dans 20% à 30% des cancers du sein. Il serait intéressant d'étudier ce qui se produit lorsqu'on met son interrupteur à off.»
Les autres chercheurs de l'Université Laval qui signent l'article dans Molecular Cell sont Ugo Dionne, François J.M. Chartier, Noémie Lavoie, Sara L. Banerjee, Kévin Jacquet, Michel G. Tremblay, Sylvie Bourassa, Jean-Philippe Gagné, Guy Poirier et Patrick Laprise, du Centre de recherche du CHU de Québec – Université Laval, Mani Jain et Christian Landry, du Département de biologie, et François Otis et Normand Voyer, du Département de chimie. Des chercheurs de l'INRS-Institut Armand-Frappier et du Mount Sinai Hospital de Toronto font aussi partie des signataires de l'étude.