
Le personnage du fils dans le film Il faut qu'on parle de Kevin exprime de façon exacerbée les principales composantes du trait d'insensibilité: absence d'empathie et de culpabilité, superficialité des émotions, fourberie et manipulation.
— Oscilloscope Laboratories
Les chercheurs, qui publient leur étude dans le Journal of Abnormal Psychology, arrivent à ces conclusions après avoir étudié l'évolution du trait d'insensibilité chez 662 paires de jumeaux entre l'âge de 7 et de 12 ans. La présence de jumeaux monozygotes – de «vrais» jumeaux partageant 100% de leurs gènes — et de jumeaux dizygotes – qui partagent en moyenne 50% de leur bagage génétique – a permis aux chercheurs d'estimer la part des gènes et celle de l'environnement dans l'expression de ce caractère. «L'insensibilité n'est pas un trait que l'on possède ou pas, mais plutôt un caractère qui s'exprime sur un continuum allant de très faible à très élevé, rappelle Jeffrey Henry. Ce degré d'expression peut changer dans le temps chez un enfant en fonction de l'influence des gènes et de l'environnement, notamment la socialisation et les apprentissages moraux.»
Pour les besoins de l'étude, l'évaluation du trait d'insensibilité a été faite à quatre reprises alors que les enfants avaient 7, 9, 10 et 12 ans. L'enseignant responsable de chaque enfant devait coter selon une échelle simple – jamais, parfois, souvent ou toujours – les affirmations suivantes: il ne semble pas ressentir de culpabilité après avoir mal agi, ses émotions semblent superficielles, il semble insensible aux émotions des autres, il est manipulateur ou trompe les autres, il ne tient pas ses promesses.
Les analyses des chercheurs montrent que le trait d'insensibilité a une forte composante génétique – près de 50% – aux quatre temps de l'étude. «Nos résultats suggèrent que la composante génétique exerce un effet dès la petite enfance dans l'expression de ce trait. Ils montrent aussi que les vulnérabilités génétiques à l'insensibilité qui apparaissent tôt continuent de façonner l'expression de ce trait au moins jusqu'à l'âge de 12 ans et que d'autres facteurs génétiques s'ajoutent en cours de route. Par ailleurs, nos analyses révèlent que l'environnement a un apport équivalent à celui de la génétique. Pour des caractères sociaux complexes comme l'insensibilité, les gènes n'opèrent jamais seuls», commente Jeffrey Henry.
Un niveau élevé d'insensibilité chez l'enfant est préoccupant parce que cette caractéristique est associée au développement de comportements antisociaux et parce qu'elle constitue un élément central de plusieurs psychopathies chez l'adulte, notamment le trouble de la personnalité antisociale, poursuit le chercheur. «Contrairement à ce que l'on pourrait croire, les psychopathes ne sont pas tous des criminels violents. La plupart ont des carrières et, en raison de leur absence de morale, de leur manque de respect pour les autres et de leur propension à la manipulation, ils peuvent rendre la vie de leurs collègues misérable. On les désigne parfois sous le nom de psychopathes à cravate.»
Considérant les résultats de l'étude, Jeffrey Henry estime qu'il est important de dépister, idéalement avant l'entrée à l'école, les enfants affichant des niveaux élevés d'insensibilité afin d'intervenir précocement auprès d'eux. «En fait, les interventions touchent surtout les conduites parentales de ces enfants. Des études ont montré que le fait d'adopter des comportements particulièrement chaleureux avec les enfants à risque, de les féliciter et de les récompenser atténue l'influence des gènes sur le trait d'insensibilité.»
L'étude parue dans le Journal of Abnormal Psychology est signée par Jeffrey Henry, Ginette Dionne, Bei Feng et Michel Boivin, de l'École de psychologie, et par cinq autres chercheurs d'universités québécoise, américaine et britannique.