
Dans sa thèse, Cynthia Courtois a voulu mieux comprendre le processus qui conduit un individu à adhérer à une culture déviante.
Dans sa thèse sur la fraude contemporaine et l'expertise antifraude qu'elle a soutenue à la mi-octobre, la doctorante Cynthia Courtois accorde une large place à deux témoins clés ayant joué un rôle considérable dans ce scandale. Il s'agit de l'ancien entrepreneur en construction Lino Zambito et d'un ingénieur de la Ville de Montréal retraité depuis 2009, Gilles Surprenant. Le premier dirigeait l'une des principales entreprises impliquées dans le cartel. Le second avait considérablement influencé le gonflement artificiel du coût des contrats.
«Dans ma thèse en sciences de l'administration – comptabilité, j'ai voulu mieux comprendre le processus qui conduit un individu à adhérer à une culture déviante, explique la doctorante. Peu d'études avaient alors tenté d'analyser les constructions sociales sous-jacentes à la fraude. J'ai donc fait une analyse simultanée de l'individu et du contexte.»
Selon Cynthia Courtois, tous les individus subissent chaque jour des pressions quotidiennes, mais ils parviennent généralement à contrer celles-ci grâce aux facteurs de protection dont ils disposent. Néanmoins, il arrive que les pressions deviennent importantes, à un point tel que certaines personnes se retrouvent alors à un moment critique où elles doivent choisir de déroger ou non aux règles socialement acceptées. Dans le scandale révélé par la commission Charbonneau, l'individu qui choisissait la déviance faisait l'apprentissage de ce comportement dans le plus grand secret. Il fabriquait du sens, modifiant ses référents et ses habitudes de vie, devant continuellement jongler pour trouver un équilibre entre ce qu'il est et ce qu'il fait.
«Gilles Surprenant décrit très bien le moment où il s'est retrouvé à la croisée des chemins, raconte la doctorante. Il s'est fait remettre une enveloppe contenant l'argent d'un pot-de-vin. Il tâte l'enveloppe et il a dix secondes pour prendre une décision qui, il le sait, changera bien des choses dans l'avenir. Lui qui subissait des pressions depuis des années, il accepte l'argent par crainte de représailles. Lino Zambito, lui, décide d'entrer dans le cartel qui contrôlait les contrats de la Ville de Montréal pour assurer la survie de son entreprise. La culture de la déviance à la Ville de Montréal facilitait la rationalisation de la déviance. Les deux témoins ont révélé que “tout le monde jouait le même jeu”.»
La recherche de Cynthia Courtois a également mis en lumière le caractère souvent illusoire des systèmes de contrôle de la fraude. Le rapport final de la commission Charbonneau a émis 60 recommandations visant l'amélioration du contrôle des fonds publics. Or, depuis 1995, le gouvernement du Québec avait déjà adopté plus de 30 lois qui ont modifié les règles sur l'octroi et la gestion des contrats publics. Selon la doctorante, cela donne l'impression que le gouvernement et les fraudeurs s'adonnent à un perpétuel jeu du chat et de la souris.
«À un échec des contrôles, dit-elle, on réclame paradoxalement plus de contrôles. On en ajoute comme si cela allait changer quelque chose, mais on ne crée qu'une illusion de contrôle. Guy Chevrette, l'ancien ministre des Transports du Québec, a d'ailleurs déclaré que la commission Charbonneau était un processus nécessaire qui allait apporter la paix sociale pendant 20 à 25 ans, tout comme la commission Cliche dans les années 1970. Celle-ci avait couvert une série de scandales de collusion dans l'industrie de la construction. Elle avait également recommandé la création d'agences de contrôle. Dans ce contexte, la commission Charbonneau n'est-elle, en fin de compte, qu'un spectacle bien orchestré par l'État afin de convaincre la population que la situation est sous contrôle? Mais si tel est le cas, la question que l'on devrait vraiment se poser est "Combien de temps cela durera-t-il?"».
Il y a quelques mois, la revue Auditing: A Journal of Practice and Theory a publié un article inspiré des travaux de recherche de Cynthia Courtois. Elle est cosignataire du texte avec son directeur de recherche, le professeur Yves Gendron, de l'École de comptabilité.