
La musique en salle d’opération suscite la controverse chez les chirurgiens. Certains estiment qu’un arrière-fond musical les rendmeilleurs, alors que d’autres jugent qu’il s’agit là d’une source de distraction inutile, voire dangereuse.
Les deux chercheurs rattachés au Centre universitaire d'ophtalmologie du CHU de Québec - Université Laval arrivent à cette conclusion après avoir mesuré la performance de 14 ophtalmologistes et de 12 résidents en ophtalmologie qui avaient accepté de participer à l'expérience suivante. Chaque sujet devait exécuter, à deux reprises, deux tâches sur un simulateur utilisé pour la formation en chirurgie oculaire. Ces interventions, réalisées à quelques jours d'intervalle, étaient pratiquées soit en silence, soit pendant que la Sonate pour deux pianos en ré majeur de Mozart jouait en sourdine. La première tâche consistait à utiliser un instrument chirurgical pour tracer une boucle en suivant une ligne prédéterminée à l'intérieur de l'œil. «Ceci nous permet de mesurer la précision du geste et le tremblement de la main», explique Ralph Kyrillos. La deuxième intervention consistait à pratiquer une ouverture circulaire à la surface du cristallin, une étape de la chirurgie de la cataracte. «Cette tâche est plus complexe que la première parce qu'il n'y a pas de ligne pour guider le chirurgien. Il doit imaginer sa cible, se représenter la trajectoire de l'instrument en 3D et l'exécuter», poursuit-il.
Les analyses des chercheurs révèlent que, pour la première tâche, les performances des chirurgiens sont comparables qu'il y ait ou non un arrière-fond musical. Pour la deuxième tâche, les chirurgiens obtiennent une note globale 23% plus élevée lorsqu'elle est réalisée au son de Mozart. La principale amélioration concerne la rondeur du tracé, qui augmente de 33%.
Plusieurs études ont déjà démontré les effets positifs de la musique sur les patients qui demeurent conscients pendant une intervention. Par contre, l'effet de la musique sur les chirurgiens soulève la controverse; certains estiment qu'un arrière-fond musical les rend meilleurs, alors que d'autres jugent qu'il s'agit là d'une source de distraction inutile, voire dangereuse. «Notre étude suggère que la musique ne nuit pas aux chirurgiens et qu'elle peut même améliorer certains aspects de leur performance, résume Ralph Kyrillos. La musique activerait des parties du cerveau et elle faciliterait la mobilisation de certaines de ses fonctions.»
Si c'est bien le cas, le mérite n'en revient pas exclusivement à Mozart puisque d'autres études ont rapporté des effets positifs lors d'interventions pratiquées au son du hip-hop et du reggae. Ralph Kyrillos avoue qu'il aime bien avoir un fond sonore musical lorsqu'il opère, mais ses préférences ne vont surtout pas à la Sonate pour deux pianos en ré majeur de Mozart, qu'il a été contraint d'écouter ad nauseam lors de la réalisation de l'étude. «J'aime bien la musique des radios commerciales généralistes, ça me détend et ça rend l'atmosphère de la salle d'opération plus agréable. En fait, j'oublie rapidement qu'il y a de la musique lorsque j'opère.»
Même son de cloche du côté de Mathieu Caissie. «Depuis mon arrivée à Québec en 2011, j'écoute de la musique lorsque j'opère. J'utilise mon iPod qui contient une "playlist" de rock des années 80-90 et des "one-hit wonders". J'ai l'impression que cette musique crée un climat de travail agréable et convivial. Je suis spécialisé dans la chirurgie de la rétine, ce qui m'oblige à faire beaucoup de gestes de précision encore plus délicats que ceux réalisés par les participants de notre étude. Lorsque je suis devant un cas complexe ou un cas de longue durée, ma musique permet de me détendre et de me motiver.»