
Une clôture sépare la ville mexicaine densément peuplée de Tijuana (à gauche) des États-Unis.
— BBC World Service
Depuis deux ans, les chercheurs ont analysé les routes empruntées par ces migrants, qui mettent plusieurs semaines, plusieurs mois ou même des années à se rendre d'un bout à l'autre du Mexique. Un parcours qui, comme dans le jeu de serpents et échelles, n'a rien de linéaire, et qui compte bien plus de serpents que de gens prêts à les aider. Enlèvements, viols, extorsions de fonds, accidents ferroviaires, tous les migrants rencontrés pour les besoins de cette étude racontent l'extrême violence qu'ils ont eux-mêmes subie ou qu'on leur a confiée. Au point que plusieurs renoncent à leur projet et s'établissent au Mexique.
Il faut dire que, pour les gangs de narcotrafiquants et autres bandits de grands chemins, ce flux continuel de voyageurs prêts à tout pour vivre le rêve américain constitue une véritable manne. «Les migrants disposent de ressources transnationales, explique Danièle Bélanger. Ils ont souvent des amis ou de la famille aux États-Unis, que les kidnappeurs contactent pour leur demander une rançon. Sur la route, on ne sait jamais à quel endroit les enlèvements vont avoir lieu.» Sans parler des nombreux passeurs, les «coyotes», qui réclament 5 000 dollars et plus pour aider à traverser la frontière. Ils abandonnent parfois leurs clients en plein désert ou ne se rendent jamais au point de rendez-vous.
Au cours de leur étude, la géographe et ses collègues ont constaté que les migrants communiquaient beaucoup sur les réseaux sociaux pour trouver les informations les plus à jour et susceptibles de garantir leur sécurité. Depuis peu, leur voyage se complexifie avec le renforcement de la sécurité à la frontière entre le Mexique et l'Amérique centrale. Des postes de contrôle ou des patrouilles volantes vérifient l'identité des voyageurs et le train de marchandises, surnommé «La Bestia», qui traverse le pays du nord au sud. Il est désormais étroitement surveillé pour empêcher les migrants de l'emprunter.
«La fermeture de la frontière ne freine pas le flux migratoire, mais elle favorise la croissance d'une véritable industrie de la sécurité, constate Guillermo Cadiz, qui revient tout juste d'un séjour au Mexique pour actualiser ses données. Le Mexique dépense une fortune pour refouler les immigrants.» De cette façon, cela diminue le nombre d'illégaux repoussés par les États-Unis, sans pour autant tarir le flot de celles et de ceux qui fuient le Salvador, le Guatemala ou le Honduras, aux prises avec des problèmes de violence structurelle.
Rappelant que le Honduras se classe comme l'un des pays les plus dangereux de la planète, avec 90 assassinats pour 100 000 habitants, Danièle Bélanger dénonce les préjugés nourris envers les migrants. «On valorise la mobilité de nos étudiants ou de certaines marchandises, tout en considérant beaucoup de migrants comme de possibles terroristes, fait remarquer la géographe. De plus en plus, la migration humaine devient un marqueur d'inégalité.» C'est justement pour mieux faire comprendre à ses étudiants la réalité de la migration que la professeure partage avec eux les résultats des rencontres réalisées sur les routes mexicaines.