
Aux États-Unis, la peur de se faire tuer ou voler est à la hausse, même si la criminalité est en baisse.
Ce scénario poussé à l’extrême illustre à quel point vivre sans l’ombre d’un risque est impossible. Car tout – ou rien – risque toujours d’arriver, du seul fait de vivre en société. «Ce n’est pas logique de penser en termes de risque zéro, dit Stéphane Leman-Langlois, professeur de criminologie. Si on essaie de contourner tout ce qui représente un danger, tout le monde va rester chez soi. Car arriver à tout contrôler est un pari impossible à tenir. Et puis, est-ce que c’est dans ce genre de société que nous voulons vivre?»
De quoi a-t-on peur aujourd’hui? Du terrorisme, évidemment: le 11 septembre de chaque année nous ramène immanquablement à cette tragédie. Selon Stéphane Leman-Langlois, aussi titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la surveillance et la construction du risque, la peur est d’abord et avant tout ce qui nous fait changer nos habitudes de vie. Le reste n’est que préoccupation. «Si un attentat terroriste est commis dans le métro, les gens seront préoccupés par leur sécurité, mais ils continueront pour la plupart à prendre le métro pour aller travailler, dit-il. Avant de décider de ne plus prendre l’avion ou le train, on doit faire une analyse logique des risques à courir et, comme on dit, mettre ses peurs à la bonne place.»
Et le criminologue de rapporter cette anecdote concernant les craintes reliées au transport aérien. Interrogé sur les précautions à prendre pour arriver sain et sauf à destination en avion, le président de la direction de l’administration canadienne de la sécurité du transport aérien, Jacques Duchesneau, répondait invariablement: «Conduisez prudemment jusqu’à l’aéroport!»
Peur de perdre son emploi, peur de ne pas être en santé, peur de rater sa vie: la liste des peurs peut paraître bien longue. Mais c’est pourtant la peur du crime qui remporte la palme. Aux États-Unis, par exemple, la peur de se faire tuer ou voler est à la hausse, même si la criminalité est en baisse. Si on tient compte du fait qu’un adulte peut se procurer un fusil en cinq minutes sans trop de problèmes, on a là un cocktail explosif. «Dans certains États, on peut même acheter une arme à feu chez Walmart, explique Stéphane Leman-Langlois. Sans compter qu’il existe une mode de foires d’armes à feu où des particuliers achètent ou s’échangent des armes. Aucune loi n’encadre cela.»
Par peur d’être attaqués, certains citoyens s’arment jusqu’aux dents pour se protéger ou pour défendre les autres qu’ils croient menacés d’un danger. Tant pis pour celui qui s’adonne à passer sur leur chemin. Pensons à George Zimmerman qui a récemment abattu de sang-froid un jeune Noir en Floride. Dans un autre ordre, au Québec, on a vu des chasseurs de pédophiles tenter de «piéger» ceux qui menaçaient la sécurité de leurs enfants, que ce soit sur la Toile ou dans la rue. Tout cela comporte des dangers, dont celui de se faire justice soi-même.
«Lorsqu’on n’a pas le contrôle, on est toujours plus épeurés», soutient Stéphane Leman-Langlois qui constate que les médias contribuent largement à alimenter cette peur. «Je pense à une nouvelle qui a fait la une du Journal de Montréal à un moment donné. Le titre: Un pédophile comme voisin? La police sait où ils sont mais pas le public.»