
Ces tétras noirs sont modifiés génétiquement par l'ajout d'un gène de fluorescence. Prisés par les aquariophiles, ils suscitent toutefois le malaise chez certains éthiciens.
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Les technologies d'addition ou d'élimination de gènes permettent maintenant d'outrepasser la frontière des espèces pour créer, à la carte, des organismes inédits. Et les scientifiques ne s'en privent pas. Le grand questionnement qui entourait ces questions dans les années 1990 a perdu de sa vigueur, reconnaît la philosophe. «Jusqu'au début des années 2000, on s'inquiétait des plantes et des animaux d'élevage qui faisaient l'objet de manipulations génétiques. Avec le temps, le débat sur les plantes génétiquement modifiées est devenu moins passionné, et la même chose s'est produite avec les animaux. Il faut dire que les recherches ont beaucoup ralenti du côté de la transgénèse animale, entre autres parce qu'il n'y avait pas d'acceptabilité sociale. Mais le problème des balises demeure entier.»
Selon certains, le critère du bien-être animal devrait servir à tracer la ligne. Cette proposition a ses mérites, mais elle croise bien vite ses limites, souligne Lyne Létourneau. La multiplication des animaux transgéniques utilisés en recherche médicale en fait foi. Le bien-être animal ne fait pas le poids devant les intérêts supérieurs de l'humain. La souffrance des animaux transgéniques – tout comme celle des animaux de laboratoire classiques – est vue comme un mal nécessaire pour soulager la souffrance humaine.
«Et qu'advient-il lorsque la manipulation génétique ne fait pas souffrir l'animal? demande la professeure. Est-il acceptable de modifier le génome d'une espèce pour le simple plaisir de l'œil comme dans le cas des poissons fluorescents? Ou pour rendre une espèce mieux adaptée à ses conditions d'élevage?»
À l'instar d'autres éthiciens, la philosophe admet ressentir intuitivement un malaise face à pareilles situations. «Nous avons de la difficulté à fonder sur une justification solidement étayée le sentiment d'inconfort provoqué par la perspective de créer de tels animaux, admet-elle. On dirait que la souffrance de l'animal est la seule chose qui nous empêche de le considérer comme une nullité morale, à notre entière disposition pour la satisfaction de tout besoin ou désir. Il doit pourtant y avoir autre chose qui justifie ce malaise.» En l’absence de balises claires, les chercheurs doivent faire appel à leur propre conscience pour départager l'acceptable de l'inacceptable, une situation qui ne rassure guère Lyne Létourneau. «Il y a eu des dérives, même avant l'arrivée des outils de transgénèse. Il suffit de voir à quelles aberrations ont conduit les croisements de chats ou de chiens. La clé pour éviter de telles dérives se trouve peut-être du côté d'idéaux de vertus comme le respect.»
La philosophe n'a pas l'impression d'être seule à ramer contre le tsunami des avancées scientifiques. «Quand j'ai commencé à m'intéresser à ce domaine, nous étions bien peu à nous poser de telles questions. Aujourd'hui, nous sommes assez nombreux pour tenir le symposium “Animal: conscience, empathie et justice” au congrès de l'Acfas!»
Progrès de la biologie et animaux inédits: de la capacité de l’éthique animale à poser des limites Mercredi 8 mai à 16h30, au local 1459 du pavillon Charles-De Koninck. Inscription au congrès obligatoire.