
Le vignoble de Sainte-Pétronille, sur l'île d’Orléans, a connu une saison de rêve en cet été chaud et sec.
— Marc Robitaille
Lorsqu’elle arrive dans un vignoble, l’équipe de Karine Pedneault n’a pas le temps d’admirer la beauté flamboyante des feuillages. «On commence par le rang 12, cinquième poteau, puis on passe au rang 9. Prenez les chaudières identifiées dans le camion», lance l’agronome. La professeure associée au Département des sciences des aliments et de nutrition de la Faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation se met rapidement à la tâche, coupant des grappes de raisin d’une main preste aux côtés de ses deux étudiantes.
La scène a lieu au vignoble de Sainte-Pétronille, à l’île d’Orléans. Elle s’est aussi déroulée à celui de l’Isle de Bacchus, pas très loin de là, et dans plusieurs autres régions du terroir québécois, notamment en Estrie et en Montérégie. Depuis quelques semaines, l’équipe parcourt au pas de charge une soixantaine de vignobles pour cueillir le raisin, le peser et le mettre à macérer dans des cuves en prévision de futures analyses.
Karine Pedneault participe à une recherche qui est la première du genre au Québec. Instauré par le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ), ce projet vise à évaluer la qualité du raisin et du vin de 10 cépages majeurs dans la province. Le Centre de développement bioalimentaire du Québec y collabore, ainsi que l’Université Laval avec les professeurs Paul Angers, du Département des sciences des aliments et de nutrition, et Martine Dorais, du Département de phytologie.
Le but? Évaluer, dans deux cépages blancs, si la méthode de culture qui consiste à enlever des grappes sur chaque cep améliore le produit final. Et surtout, inventorier les caractéristiques des variétés plantées par les vignerons d’ici: seyval blanc ou vandal-cliche, marquette ou frontenac.
Les chercheurs veulent déterminer les taux de sucre et d’acidité qui caractérisent ces différents hybrides. Ils examinent aussi les arômes, les tannins et les autres composés d'importance pour la vinification. «On les passe vraiment au crible, précise l’agronome. Si un cépage a beaucoup d’amertume, il faut éviter les longues macérations. Certains blancs risquent de devenir amers si on garde le grain de raisin longtemps en contact avec les pellicules, autrement dit les peaux.» (extrait sonore)
Même si l’industrie vinicole existe depuis presque une trentaine d’années au Québec, la caractérisation des différents cépages demeure un secret bien gardé dans les laboratoires privés ou dans chaque vignoble. La recherche vise à mettre à la disposition des vignerons le plus d’informations possible afin qu’ils puissent améliorer la qualité de leurs nectars. Les vins pourraient notamment être bâtis en assemblant différents cépages, comme le font les Européens depuis des siècles, alors que les adeptes de la méthode Nouveau Monde se concentrent en général sur un type de raisin par cru. Cet effort de composition permettrait d’élaborer de meilleurs produits en mariant des variétés aux qualités complémentaires.
«Au fait, Karine, il est buvable, le vin du Québec?» La question fait sourire la jeune agronome, qui garde l’œil fixé sur les vrilles qui s’échappent du pied d’une vigne marquette. «Depuis mon retour de Californie, il y a un an et demi, je ne bois que ça!», lance-t-elle.
La chercheuse constate que certains vignobles se sont beaucoup professionnalisés depuis quelques années. Ils disposent des conseils d’agronomes et d’œnologues très bien formés. De plus, ils possèdent maintenant des cépages hybrides bien adaptés au climat froid. Ceux-ci sont mis au point par des États comme le Minnesota ou le Wisconsin qui, depuis peu, investissent des fortunes dans leur production viticole. De nouvelles variétés sur le marché, comme le marquette, permettent même de produire des raisins rouges à la fois hâtifs et riches en tannins, qui vont sans doute hausser considérablement la qualité de ce type de cru dans la région de Québec.
Les résultats du projet mis en branle par le MAPAQ devraient être disponibles dans deux ans. Certaines données seront disponibles dès la fin de novembre en Allemagne lors d’un congrès sur la viticulture en climat froid.
En plus de caractériser les cépages, la recherche se penche aussi sur la taille de la vigne et l’égrappage. Ces méthodes de culture visent à obtenir des raisins plus sucrés en limitant leur nombre. «C’est incroyable, certains plants de seyval ont produit d’énormes grappes même si l’on en avait enlevé beaucoup au moment de la floraison», remarque Karine Pedneault. Ces grappes sont soigneusement pesées, reliées à chaque plant travaillé au printemps, puis analysées pour connaître leur rendement ainsi que leur taux de pH et d’azote. Ces informations apprendront aux vignerons quelle proportion de fleurs il faut enlever sur chaque pied de tel ou tel cépage pour obtenir un raisin plus concentré tant de mois plus tard.
Le regard perdu dans le feuillage doré des vignes, la jeune agronome rêve tout haut de la base de données que pourraient consulter bientôt les vignerons du Québec si le projet de recherche avance rondement. À l’aide des renseignements compilés sur les cépages, ils auront des outils pour tailler leur vigne de façon efficace et choisir la bonne variété selon leur type de sol. Et surtout, pour pratiquer les assemblages les plus intéressants selon le cru recherché!
Adepte de la recherche pratique, Karine Pedneault met déjà à leur disposition une grille d’analyse sensorielle. Un outil que sa collègue agronome Gaëlle Dubé, diplômée de l’Université Laval, a adapté d’un modèle français. «Les vignerons analysent les raisins en séparant les grains des peaux et des pépins», explique la professeure. (extrait sonore)
Reste à voir si les gens du cru adopteront la méthode. Jean-François Gagné, maître de chai au Domaine de la source à Marguerite sur l’île d’Orléans, qui fournit aussi des spécimens à l’équipe de recherche, se prête de bonne grâce à ces expériences. Il reconnaît l’utilité de ces dégustations pour appréhender les différents arômes des cépages. Mais quand il s’agit de croquer les pépins des raisins, il fait la grimace! Dommage, lui rétorque la chercheuse. Ce sont les meilleurs marqueurs des futurs arômes du vin…
ERRATUM
Spécialiste en chimie analytique pour les composés des plantes, Karine Pedneault ne porte pas le titre d’agronome, mais de docteure en biologie végétale. Elle œuvre comme chercheuse au Centre de développement bioalimentaire du Québec, qui pilote le projet présenté dans cet article, en collaboration avec les professeurs de l’Université Laval. Pour réaliser cette étude, elle a obtenu des subventions du MAPAQ et convaincu les vignerons d’investir personnellement. Enfin, son équipe a récolté cet été une soixantaine de lots de raisins dans 20 vignobles différents.
Voici la liste des vignobles participants dans la région de Québec :
- Vignoble du Mitan
- Domaine de la Source à Marguerite
- Vignoble Isle de Bacchus
- Vignoble de Sainte-Pétronille
- Domaine de l'Ange-Gardien