
Marie-Andrée Bergeron: «J'ai été touchée par cette parole libre de toutes contraintes».
L’étudiante en maîtrise en histoire littéraire à l'Université Laval a alors plongé dans les 50 numéros de La Vie en rose pour décortiquer la rhétorique et les stratégies déployées dans les éditoriaux. Une fois son mémoire écrit, sous la direction de Chantal Savoie, restait le désir de faire partager sa découverte à un public plus large que les lecteurs universitaires. D’autant plus que les artisanes de la revue ont toujours pris plaisir à naviguer entre discours militant, culture populaire et savante. Cette jeune féministe convaincue a donc repris la lecture des éditoriaux de la revue qu’elle a mis en contexte par rapport à l’actualité de l’époque.
Le livre qu’elle en a tiré, Les mots de désordre, qui vient d’être lancé par les Éditions du remue-ménage, veut donner l’occasion aux filles de sa génération de découvrir la parole que leurs aînées ont prise sans rien demander à personne, il y a quelques décennies. Comme le proclame Sylvie Dupont, une des sept fondatrices de la revue, dans l’éditorial du premier numéro, «le féminisme est loin d’être triste, […] les féministes sont bien vivantes et entendent le rester.»
Ce qui a le plus frappé la jeune militante de 28 ans, c’est l’actualité de plusieurs thèmes abordés dans les éditoriaux de La Vie en rose. Accès aux garderies, montée de la droite, pornographie, concentration des médias… Certains coups de gueule, livrés avec aplomb et humour par les Lise Moisan, Francine Pelletier, Françoise Guénette, Ariane Émond, Claire Brassard, Claudine Vivier ou Sylvie Dupont, n’ont pas pris une ride. Dans un texte qui conclut le livre, Françoise Guénette revient d’ailleurs sur les sujets qui les faisaient réagir à l’époque.
«C’est criant d’actualité», constate l’étudiante au doctorat en études littéraires. Elle cite le dernier éditorial de Françoise Guénette, «Qui gardera André ?», qui porte sur la difficulté des familles de trouver une place en garderie. Et cette militante contre la hausse des droits de scolarité, version 2012, ne peut que saluer l’éditorial de février 1987, qui prend position en faveur de la grève des étudiants québécois de l’époque, déjà opposés à «l’élitisation de l’université».
En se replongeant dans la prose de ces féministes issues en bonne partie des luttes pour l’avortement libre, Marie-Andrée Bergeron a constaté que l’image qu’on peut avoir d’une période historique ne correspond pas toujours à la réalité. «Contrairement à ce qu’on dit, ce n’est pas vrai qu’il ne se passait rien au Québec dans les années 1980, après la déprime de l’échec référendaire», indique l’étudiante. Et de citer dans l’introduction de son livre la mobilisation des femmes contre la pornographie, qui pousse le gouvernement à mettre sur pied le comité Fraser, en 1985, ainsi que la légalisation de l’avortement au Canada, en 1988, 20 ans après l’ouverture de la première clinique Morgentaler à Montréal.
Sans se montrer complaisante envers les féministes qui l’ont précédée, Marie-Andrée Bergeron considère son livre comme un pont bâti entre deux générations de militantes. Une façon de rappeler aux jeunes femmes, comme celles qui nourrissent le blogue jesuisféministe.com, que la lutte pour l’égalité des sexes a une longue histoire. Elle espère donc que Les mots de désordre va donner envie aux filles de son âge de découvrir les propos souvent très décapants de la revue.
L’étudiante au doctorat prépare actuellement une thèse sur la presse féministe québécoise, qui comprend notamment des publications comme Québécoises deboutte! ou Les Têtes de pioche. Malgré tout, elle garde une préférence marquée pour l’irrévérence des textes de La Vie en rose…