Selon Gérard Bouchard, professeur au Département des sciences humaines de l’Université du Québec à Chicoutimi et coprésident, de 2007 à 2008, de la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles, la direction du cégep Saint-Laurent aurait dû imiter le cégep de Sainte-Foy. «Trois jeunes filles inscrites à un cours de francisation n’ont pas eu le choix, explique-t-il. C’était non, dès le début, au port du voile intégral au cégep. Les valeurs fondamentales de la société québécoise ne sont pas négociables.»
Le mercredi 10 mars, au pavillon La Laurentienne, Gérard Bouchard a prononcé une conférence intitulée «La francophonie québécoise et la diversité: comment mettre fin au malaise identitaire?». Selon lui, le gouvernement actuel a pris des mesures pour favoriser l’accès à l’emploi et la reconnaissance des compétences auprès des minorités ethniques et des travailleurs immigrés. Mais il ne s’est pas engagé dans l’enjeu qui interpelle l’identitaire québécois, lequel repose sur la langue française, l’égalité entre les hommes et les femmes, et la laïcité. «Le gouvernement du Québec, dit-il, pourrait reprendre les balises contenues dans le rapport de la commission Bouchard-Taylor et les formuler en directives claires pour que les décideurs confrontés à des cas d’accommodements raisonnables cessent de croire qu’il n’y a pas de balises. L’une d’elles stipule que toute demande d’accommodement raisonnable qui sous-entend que la femme est inférieure à l’homme doit être rejetée. Ça ne peut être plus clair.»
Cela dit, Gérard Bouchard croit que les accommodements raisonnables, qu’il préfère appeler «ajustements concertés» ou «ajustements mutuels», ne représentent pas une menace pour la majorité culturelle francophone, comme certains le laissent entendre. Il affirme aussi qu’ils sont inévitables. «Quand des personnes étrangères vivent le choc de l’immigration avec une culture d’accueil très différente de la leur, à moins qu’on les exclue et qu’on les installe dans des ghettos, il est évident qu’il faut leur construire des marchepieds pour les aider à s’initier à notre culture, soutient-il. Ces marchepieds sont les accommodements raisonnables. Ce genre d’outil juridique fait en sorte que certaines personnes voient leurs droits respectés autant que les autres. La condition est que ces accommodements doivent être faits à l’intérieur de balises, sans jamais porter atteinte aux valeurs fondamentales de la société d’accueil.»
Leadership à la québécoise
Les consultations de la commission Bouchard-Taylor ont révélé l’existence d’un fort consensus au Québec autour de l’idée d’interculturalisme. Ce modèle de vivre-ensemble entre une majorité culturelle et des minorités ethniques et des immigrés s’est développée progressivement au cours des dernières décennies. «L’interculturalisme place le Québec dans une sorte de position de leadership à l’échelle internationale, affirme Gérard Bouchard. Cette approche se situe à mi-chemin entre le multiculturalisme et l’assimilation brutale des immigrés. L’interculturalisme doit se soucier autant des intérêts de la majorité culturelle que des intérêts et droits des minorités.»
En 2006, le Conseil de l’Europe, qui réunit 47 pays, a demandé à ses membres d’identifier le modèle de prise en charge de la diversité ethnoculturelle que le Conseil devrait adopter et promouvoir. Gérard Bouchard rappelle que les participants ont écarté d’emblée le multiculturalisme «à cause du danger de fragmentation et la menace que cela représente pour la cohésion sociale». Ils ont également laissé de côté toute formule conduisant à l’assimilation. «Ils ont décidé de travailler sur un modèle qui retient le meilleur des deux points précédents, modèle qu’ils ont appelé l’interculturalisme, indique-t-il. Les Européens sont exactement dans notre situation au Québec. Ils cherchent un équilibre entre deux systèmes qui leur paraissent excessifs pour diverses raisons. Pour eux, l’interculturalisme rejoint la sensibilité à la diversité, propre au multiculturalisme, ainsi que la sensibilité à l’universalité des droits, propre aux régimes républicains.» Depuis deux ans, Gérard Bouchard a prononcé plus d’une vingtaine de conférences en Europe sur l’expérience québécoise. «Ce qui se passe au Québec suscite énormément de curiosité chez les Européens», dit-il.