«Mon analyse de l’écart entre le discours sur le budget et la réalité des finances publiques, indique-t-il, a démontré que tous les gouvernements provinciaux, au cours de la période étudiée, ont volontairement surestimé, donc manipulé leurs prévisions de revenus à l’approche d’une élection générale. Comme leur objectif est de conserver le pouvoir, les gouvernements se doivent d’être visibles, en particulier à l’approche du scrutin. Une façon de le faire est de dépenser. En surestimant leurs prévisions, c’est-à-dire en faisant des prévisions optimistes, les gouvernements créent des marges de manœuvre qui permettent la création de nouveaux programmes, ou qui permettent de planifier une baisse des impôts.»
Contrairement au gouvernement fédéral, peu d’études ont été réalisées sur les prévisions de revenus dans les provinces canadiennes. Dans le cours de sa recherche, Jérôme Couture a observé une forte variation des erreurs de prévision entre les provinces. Trois d’entre elles se distinguent cependant par leur précision: le Nouveau-Brunswick, le Québec et le Manitoba. La moyenne en valeur absolue de leurs erreurs de prévision tourne autour de 2 %. «Les variations dépendent de la structure fiscale de la province, explique l’étudiant. Par exemple, la moyenne, pour l’Alberta, s’élève à 9,9 %. Il faut comprendre qu’environ le tiers des revenus budgétaires de cette province provient de l’industrie pétrolière. Or, la valeur du pétrole sur les marchés internationaux fluctue beaucoup.»
Le modèle québécois
Selon Jérôme Couture, le Québec ne constitue rien de moins qu’un modèle de précision dans les prévisions budgétaires. «Le gouvernement du Québec est celui qui, en valeur absolue, fait le moins d’erreur de prévision, affirme-t-il. L’étude comparative de Jenness et Arabackyj, qui a couvert la période allant de 1981-1982 à 1996-1997, révèle que le Québec a une moyenne d’erreur pour les revenus de 1,55 % et une moyenne d’erreur pour les dépenses de 0,90 %. La moyenne nationale s’élevait, elle, à 3,56 % pour les revenus et à 2,78 % pour les dépenses.»
Cycle économique, dépendance aux transferts fédéraux, lois anti-déficit, Jérôme Couture a vérifié huit hypothèses de recherche. Ces hypothèses sont falsifiables et relèvent de deux facteurs: l’incertitude et la politique. «Les erreurs de prévision de revenus, souligne-t-il, s’expliquent davantage par les facteurs liés à l’incertitude économique, l’économie n’étant pas une science exacte, que par les facteurs politiques.»
Ce mémoire s’ajoute à d’autres études qui démontrent que les gouvernements ont tendance, règle générale, à davantage sous-estimer que surestimer leurs prévisions de recettes fiscales. La recherche de Jérôme Couture met en valeur le fait que ce «biais conservateur» s’est davantage manifesté entre 1994 et 2004 durant la lutte au déficit. «Un léger biais conservateur, soutient l’étudiant, est toujours normal lorsqu’on prépare un budget, que l’on soit au niveau municipal, provincial ou fédéral. Mais le faire comme le fait le gouvernement fédéral conservateur actuel est scandaleux. Il prélève beaucoup d’impôts qui génèrent d’importants surplus, et il ne donne pas le niveau de services approprié en retour. Ce n’est pas de la bonne gestion.»
Comme dans plusieurs États américains et dans certains pays d’Europe, Jérôme Couture croit que les provinces canadiennes auraient intérêt à se doter d’une agence indépendante de prévisions de revenus. «De telles institutions, précise-t-il, permettraient de contrer les cycles électoraux, de favoriser la présentation de prévisions exemptes de biais et ajouteraient de la transparence au processus budgétaire.»