Aux fins de cette recherche ayant duré quatre ans, Liane Mozère a rencontré une trentaine de ces femmes qui se réunissaient notamment dans les locaux de la Banque nationale des Philippines ou à l’Église américaine du quai d’Orsay à Paris, pour échanger. «Mes répondantes me disaient avec humour qu’elles étaient les “Mercedes-Benz des domestiques”, dit Liane Mozère. Pour plusieurs raisons, elles demeurent en effet très appréciées de leurs employeurs, dont beaucoup sont diplomates, avocats, médecins et managers internationaux. Urbaines, anglophones, chrétiennes, éduquées, ayant pour la quasi-totalité d’entre elles occupé des postes de responsabilité dans le monde du travail, elles sont ainsi très en demande dans les milieux aisés à Paris. Reconnues pour leur déférence et leur politesse, elles savent gérer une maison et servent souvent de professeur d’anglais pour les enfants de la famille. Un certain nombre d’entre elles occupent plusieurs emplois dans d’autres familles.»
Une seconde naissance
Si les employeurs sont comblés, les domestiques, elles, ne sont pas en reste, découvrant un nouveau monde, celui où les femmes ne dépendent pas de leur mari, comme c’est le cas aux Philippines. En mettant les pieds en dehors de cette société patriarcale où une femme qui se marie l’est pour la vie, le divorce y étant interdit, les Philippines vivent des choses qui auraient été impensables dans leur pays natal. Elles peuvent sortir, avoir des aventures sexuelles et affectives avec d’autres hommes. Peu importe qu’elles soient venues en France plus ou moins par la voie officielle et qu’elles y vivent plus ou moins légalement: Paris est là, avec ses larges avenues et son vent de liberté. «Beaucoup finissent pas obtenir des papiers légaux pour rester en France, tandis que d’autres y font venir leurs maris et leurs enfants, indique Liane Mozière. D’autres encore payent des études à leurs enfants restés aux Philippines, voire une domestique pour s’occuper d’eux. Plusieurs investissent dans l’achat d’une maison ou apportent une contribution financière à une petite entreprise familiale ou communautaire dans leur pays.»
Lorsqu’elles reviennent aux Philippines pour de courtes visites, elles sont admirées, respectées. Ce sont elles les breadwinners, celles par qui la vie a changé. «Une fois leur famille sortie de la pauvreté grâce à leurs bons soins, certaines femmes choisissent délibérément de rester à Paris, affirmant qu’elles ne pourront plus jamais habiter aux Philippines, dit Liane Mozière. Elles ont vécu une sorte de conversion, une renaissance. Pour elles, la vie a changé et elles ne donneraient leur place pour rien au monde.» Quant au salaire des femmes interrogées aux fins de cette recherche, il a été impossible de le savoir, les répondantes étant silencieuses ou encore évasives sur le sujet, rapporte la chercheuse.