Ce sont ces statistiques troublantes qu’a livrées Marc Bergère, professeur en histoire contemporaine à l’Université de Rennes 2, lors d’un exposé portant sur la société française en épuration au lendemain de la Seconde Guerre mondiale qui était organisé par le Centre interuniversitaire d’études québécoises (CIEQ), le 11 janvier. «On a longtemps mesuré l’épuration à l’aune des exécutions sommaires qui ont eu lieu, avance Marc Bergère. Toutefois, l’épuration a emprunté plusieurs formes plus ou moins subtiles. Par exemple, dans l’administration publique, il n’était pas rare que des individus suspectés de collaboration soient déplacés ailleurs en France, connaissent des retards de carrière ou démissionnent volontairement. À côté de l’épuration officielle et légale qui avait pour mission de punir les vrais coupables, il y avait l’épuration officieuse, qui se jouait à huis clos.» Pour beaucoup de Français, prendre part à l’épuration servait à dire leur appartenance au pays. En pointant du doigt le collaborateur et en l’excluant de la sphère sociale, on avait le sentiment de contribuer à reconstruire le pays ravagé par la guerre.
Des conditions difficiles
Contrairement à ce qu’on pense généralement, l’épuration n’a pas débuté à la fin de la guerre, mais ses premières manifestations ont eu lieu en 1941, alors qu’on commençait à s’en prendre moralement et physiquement à des individus en raison de leur supposée collaboration avec l’ennemi. En fait, épurer la France des collaborateurs n’a pas été aussi simple que de Gaulle l’avait prédit. «Beaucoup d’organismes épuratifs ont travaillé jusqu’à la fin des années 1940, explique Marc Bergère. Les conditions difficiles dans lesquelles l’épuration s’est déroulée, comme le manque de papier et les communications difficiles, ont empêché une plus grande efficacité. Par ailleurs, des vrais coupables n’ont jamais été punis, ceux qui auraient pu les accuser n’étant jamais revenus des camps de concentration, par exemple. Encore aujourd’hui, dans certains villages, rappelle le chercheur, on pointe du doigt la maison de la femme tondue, celle qu’on soupçonne d’avoir couché avec les Allemands.»