Q Ce n’est pas la première fois que l’Inde subit des attaques terroristes. Qu’est ce qui distingue cet événement des précédents?
R L’Inde, traversée de multiples types de violence, en particulier intercommunautaires, connaît depuis très longtemps des attentats terroristes commis à la fois par des groupes extrémistes musulmans et des groupes extrémistes hindous. Ce qui est nouveau dans cet attentat, c’est le mode opératoire et les cibles visées, un peu sur le modèle des attentats commis au Cachemire entre 1999 et 2003 par des Fedayins. Des hommes entraînés militairement, des commandos suicides, interviennent l’arme à la main et armés de grenades. Au Cachemire, ils ciblaient des bâtiments qui représentaient la police, l’État indien, l’armée. Pour les attentats de Mumbaï, le groupe aurait visé des cibles symboliques dans la capitale économique et commerciale du pays, avec ces hôtels cinq étoiles qui font la réputation de l’Inde auprès des touristes occidentaux. Les terroristes se sont fait à la fois les porte-parole des musulmans indiens qu’ils estiment discriminés en Inde, mais ils ont également repris une idéologie qui se rapproche de celle d’Al-Quaïda, profondément anti-occidentale et anti-israélienne. Du coup, on cherche des symboles et l’attaque contre un centre juif, c’est un symbole. Comme de demander aux occidentaux s’ils étaient britanniques ou américains, considérés comme les ennemis des musulmans,.
Q Les liens entre les terroristes qui ont frappé à Mumbaï et le groupe islamiste basé au Pakistan Laskar–e-Taïba semblent jusqu’à présent clairement établis. Doit-on y voir un geste téléguidé du gouvernement pakistanais?
R Il faut être très prudent. Le groupe Laskar-e Taïba est apparu en 1989-1990, à peu près en même temps qu’Al-Quaïda, émanant d’un groupe politique radical qui défendait une idéologie islamiste. Au départ, ce groupe agissait principalement au Cachemire, mais avec une arrière base au Pakistan. D’ailleurs, les services secrets pakistanais auraient joué un rôle dans la formation logistique et militaire des membres de ce groupe à l’époque. Qu’en est-il aujourd’hui? On est incapable de dire si ce sont des groupes pakistanais proches de l’armée qui sont derrière ces attentats. Il ne faut pas oublier que le Pakistan a été durement frappé par le terrorisme ces derniers mois et que c’est un État très faible, entre un régime détenu par le général Musharaf et un régime civil en quête de respectabilité. Le pays n’avait pas intérêt à ce que ces attentats surviennent, ni à ce que le processus de paix entre l’Inde et le Pakistan soit suspendu. On se souviendra qu’en 2001, l’attaque contre le Parlement Indien à New-Delhi, elle aussi opérée par des membres de Laskar-e Taïba, avait provoqué un état de quasi-guerre entre les deux États.
Q Quel effet l’attentat va-t-il avoir sur la situation intérieure indienne?
R Déjà, deux responsables-clés de la sécurité ont démissionné, notamment le ministre indien de l’Intérieur. Il y a beaucoup d’interrogations sur le rôle des services de sécurité indiens qui auraient eu vent de la possibilité d’attentats contre des hôtels cinq étoiles mais ils ne savaient pas lesquels. Des élections législatives auront bientôt lieu en Inde. Cet attentat va-t-il propulser sur le devant de la scène le parti nationaliste hindou, le BJP, au détriment du Parti du congrès actuellement au pouvoir? Ce qui est sûr c’est que le terrorisme et la sécurité nationale vont devenir des enjeux électoraux de premier plan, car ce n’est pas le premier attentat même si c’est le plus spectaculaire. Depuis 2007, il y en a eu plusieurs menés par des musulmans extrémistes aux quatre coins de l’Inde, et surtout le mode opératoire a évolué. Il s’agit maintenant d’attaques de type commando, ce qui montre que ces groupes sont très bien organisés, très bien structurés, surtout très bien entraînés, et qu’ils ont des relais en Inde. Il ne faut pas négliger non plus le risque d’affrontements intercommunautaires même si le gouvernement indien fait tout pour calmer la situation. D’ailleurs les accusations contre le Pakistan font partie de la stratégie gouvernementale, car en désignant un ennemi extérieur on évite de stigmatiser les musulmans de l’intérieur.
Propos recueillis par Pascale Guéricolas