Manifestement, le grand public a apprécié la formule proposée mercredi soir. Le principe : un thème d’actualité, «Les changements climatiques : sacrifices ou opportunités», vu à travers l’expertise de quatre panélistes venus d’horizons différents. Cette approche multidisciplinaire correspond d’ailleurs à la complexité du sujet à traiter. La question de l’eau, dont il a été abondamment question au cours de la conférence, illustre bien le phénomène. Certaines régions dans le monde vont en être de plus en plus privées, tandis que d’autres vont devoir gérer l’abondance des précipitations. Comment s’assurer d’avoir toujours accès à cette source de vie, tout en se protégeant de l’effet néfaste des inondations?
Spécialiste de la modélisation hydrologique, l’un des intervenants, François Anctil, a mis le public en garde. Les épisodes de pluie et de sécheresse risquent de se multiplier dans les années à venir, même au Québec. «Les rivières d’ici pourraient connaître des périodes avec moins d’eau l’été, un phénomène encore très peu connu, prévient le professeur au Département de génie civil et de génie des eaux. Il va donc falloir que les villes et les entreprises se préparent à gérer autrement cette ressource. » Les effets des précipitations sur l’habitat préoccupent pour sa part Céline Campagna, chercheuse à l’Institut national de santé publique du Québec. Cette professeure associée au Département de médecine sociale et préventive craint que les citoyens les plus vulnérables ne fassent les frais d’inondations à répétition.
Olivier Boiral, professeur au Département de management, a fait valoir de son côté « l’immense injustice sociale des changements climatiques ». Des pays qui émettent peu de gaz à effet de serre (GES), comme l’Indonésie ou le Bangladesh, subissent de plein fouet la montée des eaux sur leur territoire sans pouvoir mettre leurs citoyens à l’abri par manque de ressources. Une situation aussi observée dans les pays tropicaux comme Haïti, où la population très vulnérable ne dispose pas d’accès à des mécanismes d’adaptation, souligne la géographe Nathalie Barrette.
Comment agir alors face à cette urgence climatique? La professeure à la Faculté de foresterie, de géographie et de géomatique reconnaît que son opinion a changé au fil du cours qu’elle donne aux étudiants sur la climatologie et les changements climatiques depuis 2001. «Au début, je fondais beaucoup d’espoir sur les grandes ententes internationales comme le Protocole de Kyoto ou les accords de Paris, confie l’enseignante. Maintenant, je n’y crois plus. Par contre, je crois beaucoup en mes étudiants, qui m’apprennent beaucoup sur la façon de consommer sans déchets, d’être solidaires.» Olivier Boiral, titulaire la Chaire de recherche du Canada sur l’internalisation du développement durable et la responsabilisation des organisations, souligne de son côté l’importance du choix de consommation des citoyens. Surtout dans une province comme le Québec où les déplacements génèrent 40% des GES. «Les gens peuvent agir en demandant des transports en commun ou en consommant moins de viande. Il faut remettre en cause nos habitudes.»
À ses yeux, certaines entreprises comme Amazon prennent le virage du développement durable de façon efficace, souvent poussées par leurs employés ou leurs clients. Certaines comprennent également que réduire la pollution constitue un gain économique indéniable. Pourquoi d’ailleurs ne pas profiter de la crise climatique qui s’annonce pour mieux agir sur la prévention?, s’interroge Céline Campagna. «Le budget du ministère de la Santé représente la moitié des dépenses du gouvernement du Québec, souligne-t-elle. Une partie des sommes pourraient contribuer à réduire les GES, ce qui permettrait de moins consommer de services de santé.»
Cette responsable de la coordination scientifique du volet santé du Plan d’action sur les changements climatiques du gouvernement du Québec remarque par ailleurs que les villes, particulièrement proches des besoins des citoyens, sont sans doute les instances les mieux placées pour intervenir sur les changements à venir. Si les municipalités disposaient d’une plus grande aide des gouvernements provincial et fédéral, elles pourraient mieux aménager l’espace, réduire la pollution et mettre en place des mesures d’adaptation. Tout cela passe assurément par un éveil encore plus grand à l’environnement. Un mouvement amorcé au Québec dans les années 1960 se souvient François Anctil. «Personne ne voudrait revenir à des rivières aussi polluées qu’à cette époque», lance-t-il à l’auditoire en guise de conclusion.