De prime abord, on voit mal comment l’étudiant moyen qui prendrait le risque de suivre ses pas ne s’égarerait pas en chemin. Admis en physique au MIT (Massachusetts Institute of Technology) à la fin des années 1960, le jeune homme originaire de l'Oregon s’intéresse davantage au tennis et au squash qu’à la science. Membre de l'équipe interuniversitaire, il se blesse sérieusement au coude à la fin de sa première année. Il apprend à jouer de l’autre main pendant l'été et réintègre l’équipe la saison suivante. Lorsque de nouvelles blessures mettent fin à sa carrière sportive quelques mois plus tard, il canalise toute son énergie vers la physique. Cet étudiant peu orthodoxe s’organise toutefois pour suivre le moins de cours magistraux possible, préférant participer à des travaux de recherche dans les laboratoires.
C’est là, en mettant la main à la pâte et en discutant avec les chercheurs, qu’il prend véritablement goût à la science. «Le résultat de cet apprentissage est que j’étais beaucoup plus enthousiaste que mes confrères vis-à-vis de la physique et que j'en comprenais mieux les concepts de base. Ce n’est pas moi qui étais exceptionnel, c’est la formation que j’ai reçue», assure-t-il dans ses notes autobiographiques qui figurent dans le site Web de la Fondation Nobel. On voudrait bien le croire, mais on doute quand même un peu lorsqu’on apprend que, pendant ses années de bac, il disposait de son propre laboratoire — dans lequel il a vécu, sans autre adresse connue, pendant six mois — où il menait ses propres expériences.
Mais l’exception pourrait-elle devenir la règle? Le professeur Wieman le croit, à la lumière de l'observation de ses propres étudiants-chercheurs. «Lorsqu'ils arrivent aux études supérieures, ils ont peine à résoudre des problèmes de physique, malgré tous les cours qu'ils ont suivis antérieurement. Pourtant, deux ans plus tard, ils pensent comme des physiciens et peuvent argumenter comme des experts. Le type d'apprentissage qui est utilisé aux deuxième et troisième cycles y est pour quelque chose.»
La science de la science
Consciente de l'intérêt que Carl Wieman porte à l’enseignement des sciences — il a d'ailleurs été nommé «National Professor of the Year» aux États-Unis en 2004 —, l’Université de la Colombie-Britannique lui a promis d’injecter 12 M$ en cinq ans dans un projet portant sur cette question s’il acceptait de joindre son corps professoral. Depuis janvier 2007, il y dirige la Carl Wieman Science Education Initiative qui applique la méthode scientifique à la recherche des meilleures façons d’enseigner les sciences en testant différentes approches.
«Au début de leur formation, les étudiants considèrent la science comme un ensemble de connaissances isolées qu'il faut mémoriser et qui sont sans lien avec le monde. Résoudre un problème consiste à apparier une question à l'équation qui lui correspond. Il faudrait plutôt leur montrer à penser et à utiliser la science comme un expert, comme on le fait aux études supérieures. Il faut qu’ils maîtrisent des concepts et qu’ils sachent comment les appliquer dans différents contextes pour résoudre des problèmes. L'enseignement ne doit pas être vu comme la transmission d'informations, mais comme le développement d'une façon de penser.» Des études ont montré que les étudiants parviennent à maîtriser 70 % des concepts qu'on leur enseigne avec une telle approche; avec les cours magistraux, ce taux plafonne à 25 %.
Évidemment, préparer des cours qui amènent les étudiants à structurer leur pensée comme des experts est plus exigeant que l'approche traditionnelle, reconnaît-il. «Mais, nous n'avons pas à réinventer la roue chacun de notre côté. Nous pouvons mettre en commun les expériences que nous réalisons. C'est ce que nous faisons dans notre centre (cwsei.ubc.ca) et, si les autres groupes intéressés à améliorer l'enseignement des sciences en se fondant sur des données probantes font de même, il y aura rapidement beaucoup de matériel disponible.»