Récemment, vous m’avez demandé de participer au Comité d'experts sur l'enseignement de la langue au primaire et au secondaire dont on attendait la mise sur pied depuis plusieurs mois. Après réflexion, j’ai décidé que je n’y participerai pas puisqu’il n'offre aucune garantie qu'un travail sérieux, crédible et réellement utile y soit fait: le mandat du comité est beaucoup trop vaste, mal défini et insuffisamment problématisé; l’échéancier est ridiculement court: une étude sérieuse du problème et l'élaboration de pistes de solution ne peuvent se faire en trois mois (à temps très partiel de surcroît!); la composition du comité est tout à fait inadéquate: il ne s'agit absolument pas d'experts sur l'enseignement de la langue au primaire et au secondaire.
Votre ministère met sur pied une opération de façade (campagne électorale oblige!) et ne se donne pas les moyens pour étudier la très alarmante situation de la piètre qualité de la langue écrite des élèves du primaire et du secondaire. Pourtant, toutes les études sérieuses menées depuis 20 ans au Québec font état de graves lacunes des élèves québécois en grammaire; ce phénomène n’est donc pas nouveau, aussi des solutions crédibles ne peuvent surgir en quelques semaines. D’autant plus que, dans les programmes de français de la réforme, le mot grammaire est devenu tabou, les seuls passages qui y sont consacrés sont en annexe dans une liste de notions!
Encore une fois, votre ministère montre son mépris des universitaires, spécialistes de l’enseignement de la langue. Nos deux associations, l’Association québécoise des professeurs de français (AQPF) et la section québécoise de l’Association internationale pour la recherche en didactique du français (AIRDF) vous ont offert leur collaboration pour la mise sur pied de ce comité et une liste des experts dans le domaine – moins de dix noms. En effet, nous sommes peu au Québec à avoir, depuis plus de 20 ans, étudié sérieusement cette question, mené des recherches scientifiques, publié des textes sur les problèmes relatifs à l'enseignement et à l'apprentissage de la grammaire: orthographe et syntaxe. Or je suis la seule à avoir été invitée à siéger à votre comité! Nos travaux, pourtant accessibles, ne sont pas lus par vos fonctionnaires et ne sont sûrement pas connus de la plupart de vos «experts».
Dans les conditions que vous avez mises en place, votre comité, au mieux, n’arrivera pas à d'autres solutions qu’à celles qui sont proposées dans nos travaux et ceux du Conseil supérieur de l’éducation, par exemple: moins d’élèves dans les classes de français, un apprentissage systématique et rigoureux de la grammaire en lien avec des activités d’écriture plus fréquentes, une progression dans les contenus d’apprentissage de la grammaire tout au long de la scolarité obligatoire, une formation continue du corps enseignant et une meilleure concertation entre tous les enseignants pour faire de la maîtrise du français une responsabilité collective de l’école québécoise.
C’est à regret que je constate que le ministère de l’Éducation, par son irresponsabilité et l’incompétence de ses fonctionnaires responsables de l’enseignement du français et des programmes, se fait le fossoyeur de la langue française au Québec. En est-on rendu à confondre l’éducation avec les loisirs ou les sports? Je le crains.
SUZANNE-G. CHARTRAND
Didacticienne du français,
professeure agrégée à la Faculté des sciences de l'éducation