Parlons de l’égalité des sexes face à l’instruction et au travail. Je pense que les femmes sont douées de raison et d’aptitudes au même titre que les hommes. Cependant, l’égalité n’implique nullement l’identité des genres. La femme et l’homme vivent dans une relation asymétrique1. Ce qui veut dire que les sens de la relation homme-femme diffèrent. Mais cette non-réciprocité est régulée par l’État de droit. Une des impasses dans les différends qui troublent et divisent consiste à mettre de l’avant cette asymétrie sur la base d’une rationalité qui invoque des croyances religieuses en lieu et place de l’égalité de droit2.
Par ailleurs, je favorise une instruction mixte pour que les filles apprennent à vivre avec les garçons et vice-versa. Je ne crois pas au risque d’une menace à la moralité découlant de cette mixité. C’est un principe général que l’on peut appliquer à d’autres organisations collectives. Je ne suis pas contre l’école privée. Le principe essentiel concernant l’accessibilité repose sur le fait de ne refuser à quiconque l’instruction la plus élevée possible compte tenu du contexte sociohistorique et des aptitudes, de l’estime de soi, des motivations de chaque personne qui, inévitablement, diffèrent. De plus, la présence d’écoles privées n’enfreint en rien le principe d’accessibilité énoncé ci-dessus. Au surplus, l’histoire nous révèle que le monopole d’État et ou de quelque corporation que ce soit sur l’instruction conduit presque systématiquement à une forme d’unilatéralisme ou d’unidimensionnalité.
Par contre, je pense qu’il faut distinguer la foi de la raison. J’aime bien cette parole: «Laissons à quiconque le choix du chemin pour gagner le paradis, s’il y croit». Mais on ne peut pas instruire et convertir à la fois. D’ailleurs, la foi est un don de Dieu. Dans l’école, il suffit de soustraire l’exercice de la foi du curriculum général et obligatoire. Il n’est pas incommodant d’aménager des lieux de pratique d’expression de croyances dans les écoles publiques, pour autant que cette pastorale soit volontaire et assumée par les églises. Rien d’ostentatoire ne devrait être accepté en ces lieux. En revanche, l’espace civique neutre – l’armée, les communications publiques, l’école, l’hôpital, l’État, la sécurité… - permet un espace public pluraliste et constitue une condition de liberté de religion. Autrement dit, c’est la laïcité qui permet une liberté de droit et de conscience et non l’inverse.
Une langue commune représente aussi une dimension cardinale du vivre ensemble. On peut affirmer qu’une langue nationale n’interdit pas de mettre l’accent sur les langues étrangères sans compromettre l’existence de celle-là. Aux didacticiens d’y voir! La maîtrise de la langue conduisant à l’autonomie de la personne, elle développe au même moment l’estime de soi; en retour, cette personne contribue au dynamisme de la société à laquelle elle appartient. Être analphabète enferme l’être dans les fers et la barbarie.
Toutes ces confusions politico-religieuses viennent du fait que nous ne voyons pas une distinction importante entre instruction et éducation. L’instruction est publique, fondée sur la raison, et donc universelle. L’éducation repose sur les valeurs, particularistes par définition, et relève de la sphère privée. Il faut préciser qu’il y a aussi une asymétrie entre l’instruction et l’éducation: l’éducation sans instruction représente un danger plus grand que l’inverse, car sans instruction, l’être humain risque d’être soumis aux charlatans et, surtout, il se maintient dans une relation de dépendance culturelle, économique, politique. Or, je pense que l’autonomie de la personne est la plus grande conquête de l’humanité, toujours et combien inachevée.
Voici, en bref, une référence à quelques-uns des principes auxquels en est venu le comité sur l’organisation générale de l’instruction publique en 1792. Nous savons aujourd’hui que cela a pris un siècle pour que l’on prenne en compte ces principes et toutes leurs implications didactiques, juridiques, organisationnelles et politiques.
__________________________
1. C’est Condorcet qui s’explique.
2. Une illustration récente de cette situation était la prétention d’instituer des tribunaux islamiques pour le droit familial en Ontario.
ALAIN MASSOT
Professeur associé à la Faculté des sciences de l'éducation