
Pour Fannie Lafontaine, l'intellectuel se doit de prendre part au débat public. Pour Jocelyn Maclure, les conditions doivent être très claires lorsqu'on laisse entrer du financement privé à l'université.
— Louis-Philippe Lampron
Fannie Lafontaine est professeure à la Faculté de droit. Elle est titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la justice internationale pénale et les droits fondamentaux. Depuis huit ans, elle suit l’affaire Omar Khadr, l’ancien enfant soldat détenu pendant dix ans à la prison de Guantanamo Bay. «J’ai souvent constaté que l’on appréciait beaucoup ma contribution, comme intellectuelle, sur la question», souligne-t-elle. La professeure insiste sur l’importance, pour l’intellectuel, de prendre part au débat public. «Cela, dit-elle, nous donne l’impression de contribuer à la compréhension des enjeux chez le citoyen. C’est très gratifiant. Je pense que c’est de la responsabilité de l’intellectuel de tendre la main aux médias d’information afin de rejoindre le public.»
Fannie Lafontaine fait partie d’un contingent de 19 professeurs de l’Université ayant participé au projet de site Web Paroles de chercheur-es, une initiative de son collègue Louis-Philippe Lampron. Maintenant terminé, le site a fait l’objet d’un lancement en ligne le 5 décembre. Il accueille plus de 160 capsules vidéo d’une durée d’environ cinq minutes chacune. Ces capsules contiennent l’essentiel d’entrevues faites avec 42 chercheurs universitaires québécois de différentes disciplines. Toutes les interviews abordaient quatre grands thèmes: la figure de l’intellectuel, l’université, la recherche indépendante, de même que les menaces et les périls qui pèsent sur ladite recherche. Les participants provenaient de sept universités québécoises ainsi que d’une université ontarienne.
Le point de départ du site Web Paroles de chercheur-es remonte à une recherche du professeur Lampron sur la portée de la liberté universitaire. Cette liberté, explique-t-il, devrait, en principe, assurer la plus large marge de manœuvre possible afin que les chercheurs puissent diffuser leurs résultats de recherche, et ce, dans l’intérêt public. «J’ai effectué deux constats aussi importants qu’inquiétants, dit-il. J’ai constaté que l’on percevait mal et que l’on comprenait tout aussi mal les fondements et les caractéristiques de cette liberté universitaire. J’ai aussi observé qu’une portion importante de la population pouvait avoir l’impression que les chercheurs étaient “déconnectés” de la réalité, voire qu’ils ne travaillaient pas dans l’intérêt public.»
Selon Louis-Philippe Lampron, il ressort clairement des 42 entrevues que les chercheurs universitaires sont «connectés». «Le modèle de l’université repliée sur elle-même ne faisait pas consensus, indique-t-il. Le fait de travailler sur des concepts théoriques ne veut pas dire que l’on n’est pas incarné dans la société. Pour beaucoup, le travail de l’universitaire vient avec la responsabilité de s’engager dans la communauté.»
Alain G. Gagnon est professeur de science politique à l’UQÀM. Selon lui, l’université se définit comme un espace d’ouverture, de liberté et d’échange à protéger coûte que coûte. «Nous devrions tous faire un séjour obligatoire à l’université, affirme-t-il, parce que lorsqu’on entre après dans la “vraie vie”, il faut être outillé pour donner des réponses.» Selon lui, séjourner à l’université permet d’être exposé à différents types d’idées et d’échapper bien souvent à la médiocrité sur le plan de la pensée. «L’université, ajoute-t-il, permet aussi d’affronter des idées avec lesquelles nous ne sommes pas nécessairement d’accord.»
Le professeur Jocelyn Maclure enseigne à la Faculté de philosophie. Il rappelle que les universités, maintenant, misent davantage sur le financement privé, compte tenu des coupes dans les subventions gouvernementales. Cette nouvelle réalité comporte toutefois des risques pour l’indépendance de la recherche universitaire. «Je pense que les conditions doivent être très claires lorsqu’on laisse entrer du financement privé à l’université, soutient-il. Ces conditions sont l’indépendance des chercheurs, la non-ingérence dans leurs travaux, aucun droit de regard sur les recherches qui sont menées ni sur la publication des résultats. À ces conditions, on peut prendre l’argent du privé sans s’inquiéter. Ce qui ne signifie pas qu’on ne devrait pas être vigilant.»
On peut consulter les capsules vidéo du projet Paroles de chercheur-es à l’adresse suivante: parolesdechercheurs.com.