Monsieur le Maire,
C’est avec une certaine appréhension mêlée d’inquiétude que nous avons appris l’abandon «temporaire» des travaux à l’îlot des Palais. Les raisons invoquées sont les retards déjà accumulés des travaux – un aspect déjà prévu par l’administration précédente – et le risque de dépassement des coûts estimés. Bien qu’indirectement en rapport avec nos compétences d’archéologues professionnels, ces aspects relevant surtout de la gestion de projet, de l’ingénierie et de l’architecture sont quand même reliés à l’objectif principal de l’intervention archéologique sur ce site qui est d’acquérir des connaissances sur la formation de ce site dans le but de fournir un contenu historique pour la réalisation de cette institution muséale en chantier.
Cet îlot est d’une très grande importance dans la compréhension de l’histoire de la ville de Québec et ce n’est pas par hasard que ce site est venu à acquérir sa réputation; l’administration précédente lui a accordé le statut de «legs majeur de la Ville» pour son 400e anniversaire et dans son document Politique du patrimoine, lancé en janvier 2008, l’administration actuelle lui attribue une place de choix en l’incluant dans une liste de sites aussi prestigieux que l’Habitation de Champlain, le Château Saint-Louis et le site Cartier-Roberval, un «patrimoine unique» que tous reconnaissent. La renommée de ce site repose sur les résultats de recherches menées, avec la collaboration de chercheurs d’autres disciplines, par les archéologues de l’Université Laval et ceux de la Ville de Québec depuis 1982; des travaux ont mis en évidence l’extraordinaire importance archéologique de l’îlot des Palais. Les vestiges mis au jour nous parlent non seulement de l’histoire de la ville proprement dite – le lieu de pouvoir, son urbanisation, les grands événements qui l’ont marquée, son industrialisation, etc. –, mais aussi y présentent des aspects qui débordent nos frontières, dont l’invasion américaine de 1775, les contacts avec les Amérindiens, ou encore le commerce des fourrures à l’intérieur du continent au Régime français et enfin, la modification de l’environnement naturel de la ville depuis le 17e siècle.
L’incertitude entretenue quant à l’avenir du projet nous surprend en tant que chercheurs membres d’une entente tripartite entre la Ville, le MCCCF et l’Université; en effet, l’abandon «temporaire du site», à un moment où les effets des éléments et des conditions climatiques atteignent leur point culminant, risque de causer des dégâts irréparables au site. Plusieurs maçonneries sont exposées à l’action du gel-dégel et cette situation met en danger l’intégrité d’éléments architecturaux dont la conservation a été décidée par des experts en fonction de leur mise en valeur.
L’îlot des Palais n’est pas un chantier de construction ordinaire, ce projet de la Ville est une intervention sur un site archéologique dont la valeur de la nature patrimoniale est clairement énoncée dans sa politique du patrimoine. Ce lieu relatant la genèse de Québec possède une grande valeur, non seulement pour la science mais aussi pour la collectivité intéressée par l’histoire. En s’engageant dans ce projet, la Ville de Québec avait l’obligation de veiller à la bonne conservation des vestiges enfouis qu’elle mettait au jour. La décision d’excaver ces vestiges ne doit donc pas être prise à la légère; ainsi, par son projet de création d’un musée, la Ville de Québec a amené les archéologues à effectuer des interventions sur certains secteurs du site qui n’auraient pas été fouillés en temps normal et qui auraient été conservés pour les générations futures. La construction des fondations du nouvel édifice a exigé le déplacement temporaire – par exemple, celui de la voie pavée de la rue Saint-Vallier qui date de 1750 – et la disparition de certains éléments architecturaux anciens. Ces actions sur le site, si le projet en vient à être abandonné ou si les vestiges sont endommagés de façon irréparable, seront un témoignage déplorable d’une gestion déficiente du patrimoine. Ce lieu recèle non seulement les restes d’une occupation humaine aussi reculée que le 14e siècle, mais il fait le lien urbanistique entre les quartiers revitalisés de la basse-ville et les secteurs du Vieux-Port et de Place-Royale. Au même titre que le musée de Pointe-à-Callières à Montréal, une mise en valeur imaginative – dont certains éléments très intéressants ont d’ailleurs déjà été formulés – ne manquerait pas d’y amener les citoyens intéressés par leur histoire et les visiteurs étrangers friands du rôle décisif qu’a joué Québec dans l’établissement de la présence française en Amérique du Nord.
Nous nous attendons à ce que les autorités municipales exposent clairement leur position quant au futur de ce site et du projet qu’on y a initié: lui conservera-t-on son statut de patrimoine unique tel qu’exprimé dans la Politique du patrimoine? Continuera-t-on à le considérer comme un legs majeur de la Ville à ses citoyens et y poursuivra-t-on le projet de mise en valeur déjà initié? Et s’engagera-t-on à y intervenir avec toute la rigueur exigée d’une ville patrimoniale? Espérons que oui!
RÉGINALD AUGER, ALLISON BAIN,
MARCEL MOUSSETTE, JAMES WOOLLETT
Professeurs d’archéologie, Département d’histoire