Claire Deschênes est professeure associée au Département de génie mécanique. France Légaré est médecin clinicienne enseignante au Département de médecine familiale et de médecine d’urgence. Et Louise Provencher est professeure de clinique au Département de chirurgie. La première fut la première femme à enseigner le génie à l’Université Laval. La deuxième est une chercheuse dont les travaux ont un rayonnement international exceptionnel. Quant à la troisième, elle a été la première femme chirurgienne générale dans la région de Québec.
Le lundi 9 mars, ces trois diplômées de l’Université étaient réunies au pavillon La Laurentienne pour participer à une matinée-conférence organisée conjointement par l’Université Laval et le Conseil du statut de la femme (CSF). Sur une grande tribune, devant une centaine de personnes attentives, la rectrice Sophie D’Amours et la présidente du CSF, Louise Cordeau, ont animé la conversation avec les trois enseignantes. Avant les échanges, une vidéo a présenté 10 autres diplômées de l’Université Laval ayant marqué leur époque, notamment Estelle Lacourcière, Jeanne Lapointe, Claire L’Heureux-Dubé et Pauline Marois. Les biographies de ces pionnières ont été préparées par la Direction des communications de l'Université Laval et se trouvent sur le site Web du CSF.
Une époque révolue
La professeure Colette Brin, du Département d’information et de communication, agissait comme maîtresse de cérémonie. Elle a rappelé qu’aucun règlement n’interdisait aux femmes d’étudier à l’Université Laval en 1852, année de sa fondation. Mais concrètement, les portes leur étaient fermées. À cette époque, et pour longtemps encore, la femme, dans la société canadienne-française, était reléguée aux rôles de femme au foyer, d'épouse, de mère ou de religieuse. Au début du 20e siècle, le cours classique offert aux filles était différent de celui offert aux garçons et ne conduisait pas à l’université. En 1904, Marie Sirois créait un précédent en obtenant un certificat d’études littéraires à l’enseignement supérieur. Elle ne fut toutefois pas invitée à la collation des grades. Lors de la cérémonie, le recteur a mentionné le nom de la diplômée. «Elle est, a-t-il déclaré, la première femme à recevoir une distinction officielle de notre université et il faut espérer qu’elle sera suivie par plusieurs autres.» Les quatre premières bachelières ont obtenu leur diplôme en 1928. L’arrivée de femmes sur le campus suscite la réprobation chez certains étudiants. Dans le journal étudiant Le Béret, on s’interroge sur la «petitesse physique et intellectuelle des femmes». Dans les années 1970, l’Université se transforme réellement avec l’arrivée des premiers recteurs laïcs. Lors de la collation des grades 2019, l’Université Laval a décerné des diplômes à une majorité de femmes (63%). Et depuis 2017, pour la première fois, l’Université est dirigée par une femme, Sophie D’Amours.
«Vous êtes la femme de qui?»
Au fil des échanges, Claire Deschênes a rappelé que les femmes ne représentaient que 3% des finissants du baccalauréat en génie lorsqu’elle a obtenu son diplôme. «Maintenant, elles sont 22%, a-t-elle poursuivi. Il y a une évolution, un changement certain.» Louise Provencher, pour sa part, a rappelé cette phrase prononcée par l’épouse d’un de ses premiers patients avant l’intervention chirurgicale: «Je vais prier pour que Dieu guide votre main». «On ne disait pas cela à mes collègues masculins», a-t-elle commenté.
De nombreux défis liés à leur condition de femme attendaient les jeunes diplômées une fois sur le marché du travail. Claire Deschênes, par exemple, s’est fait dire qu’elle prenait la place d’un homme après son arrivée à son département. «J’ai trouvé difficile d’asseoir ma crédibilité, a-t-elle dit, d’être obligée de défendre mes idées très fort.» Louise Provencher a abordé la question de la maternité. «J’ai eu des enfants dans mes premières années de carrière, a-t-elle relaté. Pour mener une carrière de front, il faut une relation égalitaire avec son conjoint, ce que j’ai eu. Avoir des enfants et même travailler de nuit, c’est possible.» À ses débuts, dans les congrès auxquels elle assistait, elle se faisait demander: «Vous êtes la femme de qui?»
France Légaré a pour sa part parlé des enjeux qu'affrontent les étudiantes stagiaires d’aujourd’hui. «Lorsque j’avais leur âge, a-t-elle expliqué, je me sentais très ignorante du monde. Nous n’avions pas Internet. Aujourd’hui, comme chercheuses, nous ne sommes pas ici. Nous sommes dans les réseaux internationaux. Nous accueillons beaucoup de stagiaires étrangers dans nos équipes de recherche. Interculturalisme, mondialisation, leurs enjeux sont différents de ceux que nous avions à leur âge.»
Claire Deschênes a renchéri. «Les étudiantes d’aujourd’hui sont bousculées par l’esprit de compétition. L’une d’elles me disait: “C’est terrible, j’ai pris un an de plus pour ma maîtrise. Mon dossier ne sera pas parfait.” Cela amène des enjeux de santé mentale. On vivait moins cela il y a 25 ans. Une autre source de stress peut se résumer par “Quand vais-je avoir des enfants?”»
Louise Provencher a insisté sur l’importance, pour les femmes, d’être présentes dans les lieux de décision. «On compte maintenant environ 40% de femmes chirurgiennes au Québec, mais très peu siègent aux conseils d’administration. On se fait proposer de telles responsabilités, mais bien souvent, il s’agit d’une troisième occupation pour nous, donc difficile à accepter.»
En guise de conclusion, Claire Deschênes a souligné le rôle essentiel que les hommes sont appelés à jouer dans la définition d’une société plus égalitaire. «Si les hommes, a-t-elle dit, ne sont pas derrière pour faire changer les choses, jamais les choses ne changeront parfaitement.»
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