Saint-Jean-Port-Joli, 1971. Dans le salon, la tante tape du pied et l’oncle joue de l’accordéon. La mère chante, le père est au piano. Détrompez-vous, le temps des Fêtes est bien passé. Famille et amis du quartier sont réunis chez les Dubé pour le simple plaisir de jouer de la musique. Le jeune Francis, 8 ans, adore ces veillées. En fait, il ne sait pas encore que la musique sera toujours au centre de sa vie.
À preuve aussi que la musique a toujours été omniprésente chez les Dubé, la mère du jeune Francis, Jeanne d'Arc Bard, a été invitée à chanter à la fameuse émission de télévision Soirée canadienne, dont le mandat était de mettre à l'avant-scène le folklore québécois ainsi que le mode de vie rural des Québécois et qui aura duré pas moins de 23 saisons. Dans un décor de maison canadienne typique, l'animateur invitait, chaque semaine, un groupe d'une municipalité québécoise différente et créait l'univers d'une veillée d'antan, ponctuée par des chansons à répondre, des gigues et des rigodons, où l'auditoire était mis à l'honneur.
Le plaisir de la musique
«Les jeunes perçoivent, bien souvent, les cours de musique comme un apprentissage ardu et non pas comme un moment de plaisir. Pourtant, la musique fait tellement partie de leur vie, affirme Francis Dubé, professeur à la Faculté de musique, responsable du laboratoire vivant L’Université des jeux(nes) musiciens et coresponsable du Laboratoire de recherche en formation auditive et didactique instrumentale (LaRFADI) de la Faculté de musique. Par mes projets de recherche, je vise justement à leur faire prendre conscience que, entre leur vie musicale personnelle – soit écouter ou jouer de la musique simplement entre amis – et l'apprentissage plus formel d’un instrument de musique – soit dans le cadre d’un cours –, il y a tellement de liens et de points d’intérêt communs; en fait, beaucoup plus qu’ils ne le croient!»
Bien que le professeur croit toujours aux forces et aux vertus de l’enseignement traditionnel de la musique et que cette approche rejoigne toujours une partie de la clientèle, il demeure aussi convaincu d’une chose: l’apprentissage de la musique doit être plus adapté aux jeunes d’aujourd’hui.
«Jusqu’ici, nos recherches ont clairement démontré qu’un grand nombre de jeunes apprécient un apprentissage moins traditionnel et plus axé sur l’autonomie et la créativité. En ce sens, l’apprentissage de la musique par le jeu est vu par ceux-ci comme une expérience positive. Bref, un apprentissage moins formel et traditionnel augmente clairement l’engagement et l’intérêt chez le jeune, car celui-ci perçoit le cours moins comme une obligation et il joue alors par plaisir», explique le chercheur.
Une approche plus ludique
Le professeur Dubé travaille actuellement sur un projet de recherche multidisciplinaire qui visera à développer un jeu Web musical et éducatif pour apprendre aux jeunes de 6 à 10 ans – soit en début d’apprentissage - les attitudes posturales inhérentes à l’apprentissage du piano.
«Il s’agit, dit-il, d’un des premiers aspects qu’on enseigne aux jeunes dans un cours de piano. En effet, comment doit-on tenir ses bras, ses mains? Comment s’assoit-on, comment positionne-t-on son corps par rapport à l’instrument? Il est clair que ces notions peuvent paraître un peu rébarbatives chez les jeunes… L’idée est donc de construire un jeu numérique pour acquérir ces notions-là par une approche ludique.»
Les travaux de recherche seront réalisés en collaboration, notamment avec le professeur Denis Laurendeau de la Faculté des sciences et de génie et des chercheurs de l’Université McGill, de l’Université de Montréal et de l’Université d’Ottawa. Le professeur Laurendeau, également directeur du Laboratoire de vision et systèmes numériques, contribuera au projet en adaptant, pour ce jeu musical, un dispositif technique qu’il a déjà créé avec son équipe.
«L’idée, c’est d’avoir un système efficace et très peu coûteux que les jeunes pourront installer à la maison. Muni de 2 ou 3 petites caméras, le dispositif permettra de détecter en temps réel les postures du jeune au piano», soutient le chercheur. Le concept du jeu est très simple: chaque fois qu’une attitude posturale est acquise, l’élève passe à la scène suivante.
Au-delà de son aspect multidisciplinaire, ce projet a d'autres forces. L'une d'elles est qu’il mobilisera des étudiants des 3 cycles universitaires (baccalauréat, maîtrise et doctorat) de la Faculté de musique ainsi que des professeurs et des élèves provenant d’écoles de musique privées. «C’est bien d’avoir la perspective du chercheur, mais c’est aussi intéressant d’avoir celle des utilisateurs, souligne le professeur Dubé. Voilà pourquoi on veut aussi travailler en collaboration avec des adolescents et des professeurs de piano travaillant à l'extérieur du campus. Étant généralement de grands utilisateurs de jeux vidéo, les adolescents vont nous aider à conceptualiser cette plateforme numérique gamifiée qui s’adressera aux jeunes de 6 à 10 ans. Quant à la participation des professeurs des écoles de musique, c'est pour s’assurer que les attitudes posturales qui seront apprises par notre jeu correspondent à leurs besoins.»
Une expérience unique pour les étudiants en musique
Ce projet de recherche est en fait le deuxième lié au grand projet central nommé L’Université des jeux(nes) musiciens, dont Francis Dubé est responsable et qui est financé par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH).
Lors du premier projet de recherche, le professeur Dubé a invité des étudiants des 3 cycles de la Faculté de musique à participer aux travaux. Cette première recherche portait, elle aussi, sur l’apprentissage de la musique, mais visait plus précisément à analyser la motivation des jeunes lorsque des activités de créativité sont intégrées aux cours.
«Avec les jeunes, on a travaillé sur des activités d’improvisation, de jeu à l’oreille et de recomposition, tout en intégrant plusieurs technologies. Les étudiants de la Faculté, qui encadraient ce projet de recherche avec nous, ont dit avoir adoré cette expérience, surtout parce qu’elle leur a permis de sortir du cadre méthodologique traditionnel de la recherche et d’adopter différentes manières de travailler, de faire de la recherche, et ce, dans un cadre multidisciplinaire», indique le professeur Dubé.
L’Université des jeux(nes) musiciens
À la fois laboratoire vivant et projet social, culturel, éducatif et scientifique international, L’Université des jeux(nes) musiciens (UJM) a pour importante ambition de devenir nul autre que le leader international de l’apprentissage de la musique par le jeu.
En partenariat avec une quinzaine de pays répartis sur cinq continents, l’UJM vise à mettre sur pied, puis à reproduire dans les différents pays concernés, une école de musique à caractère social qui recevra annuellement une soixantaine de jeunes, tels des enfants de nouveaux arrivants (réfugiés, immigrants), des enfants issus d’un milieu social plus vulnérable et des enfants provenant d’un milieu familial régulier.
«Il faut vraiment permettre aux jeunes d’aujourd’hui de découvrir qu’ils possèdent des ressources musicales et créatives inouïes qu’ils ne soupçonnent pas. En fait, il s'agit peut-être simplement de donner ses lettres de noblesse à l’expression "jouer de la musique"… parce que lorsqu’un jeune "joue de la musique", il n’a pas l'impression d’apprendre quelque chose d’ardu, mais plutôt de vivre un moment de plaisir. Et justement, tout est là: l’apprentissage de la musique doit être perçu comme une activité positive. Bref, on peut tellement s’amuser tout en apprenant!», conclut Francis Dubé.
Visionnez le témoignage d'Alice Laurin, une jeune pianiste et chanteuse qui a participé à l’Université des jeux(nes) musiciens à l’été 2019 :
Le présent article est le tout premier de la série Université Laval au cœur de nos vies, qui vise à mettre en valeur les retombées de la recherche dans différents domaines.