Pionnier et bâtisseur de la recherche nordique au Québec, géographe global, linguiste inventif et écrivain prolifique, Louis-Edmond Hamelin s’est éteint le 11 février à l’âge de 96 ans. Il laisse derrière lui un héritage inestimable pour lequel l'Université Laval et le Québec entier lui sont redevables.
Louis-Edmond Hamelin a eu plusieurs vies professionnelles dont il est impossible d'embrasser l'ampleur ici. La partie la plus substantielle de son œuvre touche son apport à l'étude du nord et à la création du Centre d'études nordiques (CEN), l'instrument grâce auquel il a amené le Québec à tourner son regard vers ces vastes territoires longtemps ignorés. En soi, la saga qui a entouré la création de ce centre révèle plusieurs des qualités de cet homme d'exception, notamment sa combativité, sa persévérance et sa sagacité.
Après un baccalauréat latin-grec (1945) à l'Université de Montréal, une maîtrise en économique (1948) à l'Université Laval et un doctorat en géographie (1951) à l'Université de Grenoble, Louis-Edmond Hamelin accepte un poste de professeur à l'Université Laval. À cette époque, l'Université se définissait essentiellement comme un lieu de transmission de connaissances, axé sur la formation des personnes. Il n'existait alors aucun centre de recherche reconnu et les professeurs désireux de repousser les frontières du savoir menaient leurs travaux hors des cadres officiels. C'était le cas des professeurs associés à l'Institut d'histoire et de géographie, dont faisait partie Louis-Edmond Hamelin.
«À cette époque, la recherche n'était pas encore valorisée parmi le corps professoral. Elle était même ridiculisée par certains. Un professeur universitaire devait transmettre des connaissances, pas ajouter au savoir existant», m'avait-il confié lors d'une entrevue en 2002.
Dès 1952, des membres de l'Institut d'histoire et de géographie mènent des expéditions de recherche dans les régions nordiques du Québec, un vaste territoire dont les richesses naturelles suscitent la convoitise. En 1954, l'Université McGill se dote d'une station de recherche en milieu subarctique à Schefferville. Du côté francophone, Louis-Edmond Hamelin prend les choses en main.
Naître et grandir
En 1955, le professeur Hamelin rencontre le premier ministre Maurice Duplessis pour lui présenter son projet de création d'une station nordique dans l'Ungava. Il dépose ensuite un mémoire à cet effet à l'Assemblée nationale du Québec. Le projet fait l'objet d'un débat, mais il est finalement rejeté, les fonds publics pouvant être utilisés à meilleur escient, avait jugé Duplessis.
Quelques années passent, le Parti libéral de Jean Lesage prend le pouvoir et le professeur Hamelin revient à la charge. En décembre 1960, il dépose auprès du ministre des Ressources naturelles, René Lévesque, un nouveau mémoire demandant la création d'un centre de recherche sur le Nord. Il l'invite ensuite à l'accompagner lors d'un voyage de reconnaissance territoriale dans le nord du Québec.
Simultanément, le professeur Hamelin mène des démarches pour faire reconnaître ce centre au sein même de l'Université. Ses efforts portent leurs fruits. Le Conseil universitaire donne finalement son aval au projet en avril 1961, ce qui marque le début de la recherche à l'Université Laval. Le 2 août de la même année, sur proposition du premier ministre Jean Lesage, le CEN est créé par arrêt ministériel. Le texte de l'arrêté fait état de l'importance d'assurer la présence scientifique d'expression française sur ces territoires formant 70% de la superficie du Québec.
Dans une allocution prononcée en 2011 à l'occasion du 50e anniversaire du CEN, Louis-Edmond Hamelin avait rappelé que le gouvernement avait alors octroyé 400 000$ au centre pour lancer ses activités. «C'est peu par rapport aux moyens actuels du CEN, mais la graine de la nordicité était semée. Les débuts du centre ont été modestes, mais avant de grandir, il fallait d'abord naître.»
Pour la suite du monde
Ce que l'on retiendra aussi de l'œuvre de Louis-Edmond Hamelin est le nombre incalculable de scientifiques et de chercheurs qu'il a entraînés dans son sillage. Henri Dorion, qui a enseigné pendant plus de quatre décennies au Département de géographie et qui a présidé la Commission de toponymie du Québec, est de ceux-là.
«Lorsque j'étais étudiant en droit, à la fin des années 1950, ma cousine, qui étudiait en géographie, m'avait invité à assister à un cours donné par M. Hamelin, un professeur qui l'impressionnait beaucoup. Après le cours, je suis allé lui parler et il m'a dit que la géographie avait besoin de personnes comme moi qui avaient une formation en droit. J'ai terminé mon droit, j'ai pratiqué deux ans, mais je n'avais pas oublié ma rencontre avec lui. Je me suis inscrit en géographie.»
Henri Dorion n'a jamais regretté cette décision et il ne cache ni sa gratitude ni son estime pour Louis-Edmond Hamelin. «C'est lui qui m'a amené à la géographie, c'est lui qui m'a suggéré de faire une maîtrise sur la frontière entre le Québec et le Labrador et c'est lui qui m'a transmis son intérêt pour la toponymie et ses préoccupations pour l'autochtonie. Il a été mon mentor, mon conseiller et mon collègue. Je lui dois ma carrière.»
Serge Payette, professeur au Département de biologie, a connu le professeur Hamelin au début des années 1960. «J'arrivais du programme d'agronomie, où je m'étais spécialisé dans les sols. M. Hamelin, qui était directeur du CEN, cherchait quelqu'un qui avait mon profil pour participer à des projets dans le nord. Je ne le connaissais pas, je n'avais jamais entendu parler du CEN et je n'avais jamais pensé travailler dans les régions nordiques. C'est lui qui m'a ouvert la porte sur le Nord», raconte celui qui, ultérieurement, allait diriger le CEN pendant 12 années.
Selon le professeur Payette, la principale contribution de Louis-Edmond Hamelin a été la création du CEN, un centre qui a joué un rôle crucial dans l'émergence de la recherche nordique du côté francophone. «Le centre qu'il a créé était à son image: multidisciplinaire et transdisciplinaire. Le professeur Hamelin abordait la géographie sous un angle global. Il posait un regard universel sur le monde. Il avait un esprit universel.»
Gérard Duhaime, professeur au Département de sociologie et titulaire de la Chaire Louis-Edmond Hamelin de recherche nordique en sciences sociales, a connu l'œuvre du professeur Hamelin avant de connaître l'homme. «J'étudiais en science politique et je me destinais à l'étude des inégalités et de la pauvreté dans le monde. Par un concours de circonstances, j'ai décroché un emploi d'été comme cuisinier dans un camp du CEN à Rivière-aux-Feuilles, en 1977. En arrivant à Kuujjuaq, j'ai marché de l'aéroport à la station de recherche du CEN et j'ai vu beaucoup de pauvreté et d'inégalités. À mon retour, j'ai lu les quelques ouvrages consacrés à cette question, dont les écrits de Louis-Edmond Hamelin.»
Les préoccupations du professeur Hamelin pour les peuples du Nord ne transparaissent pas dans ses premiers écrits, constate-t-il. «Elles ont été beaucoup plus présentes dans la dernière partie de sa carrière. Au départ, il étudiait la glace et les roches, mais il a réussi à prendre du recul et à se distancier de son objet premier de recherche pour avoir une vision plus large du Nord, une vision qui inclut la dimension humaine. À ses premières visites dans le Nord, il était comme un aiglon qui marche au sol. Puis, au fil de ses rencontres, il a déployé ses ailes et, comme un aigle du haut des airs, son regard a embrassé la totalité de la réalité nordique, ce qui lui a permis de comprendre le Nord d'aujourd'hui dans sa globalité.»