
Le maire de Québec, Bruno Marchand, qui a obtenu un diplôme de la Faculté de philosophie en 1997, était l'invité des Entretiens du 90e. Le 9 avril, au pavillon La Laurentienne, il a eu l'occasion de témoigner, notamment devant d'anciens professeurs, de ce que ses études à la Faculté lui ont apporté.
— Yan Doublet
Si les Grecs ont idéalisé la figure du philosophe dans la cité, il est plus rare aujourd'hui d'entendre l'éloge du philosophe politicien. «Ce n'est pas la plus belle carte à jouer pour un politicien de dire qu'il est diplômé en philosophie. Personne ne dit spontanément: "Ça, c'est quelqu'un de proche du peuple!"», a admis en riant le maire de Québec, Bruno Marchand, lors d'une conférence le 9 avril au pavillon La Laurentienne. Malgré les préjugés d'une partie de l'électorat, qui voit le philosophe comme un penseur isolé dans sa tour d'ivoire, Bruno Marchand est toujours fier de parler du diplôme de philosophie qu'il a obtenu en 1997. «On a besoin de rappeler à beaucoup de gens comment et pourquoi la philosophie peut être grandement utile au quotidien, ne serait-ce que pour construire une projection de l'avenir ensemble, même si on n'est pas d'accord. La philosophie accepte la divergence, prône les nuances et encourage le débat», explique le maire.
Bruno Marchand était le deuxième invité des Entretiens du 90e, une des activités phares des célébrations entourant le 90e anniversaire de la Faculté de philosophie. «Pour souligner cet anniversaire, nous avons fait le choix de mettre en lumière l'actualité et l'histoire de la Faculté de philosophie. Nous avons voulu inviter non pas uniquement les philosophes de profession mais aussi, et peut-être surtout, les personnes que la philosophie accompagne de différentes façons dans leur travail au quotidien», a affirmé le doyen Pierre-Olivier Méthot en prélude à la conférence de Bruno Marchand.
De son côté, le conférencier a accepté l'invitation «par amour pour la philosophie et la Faculté». «Je suis ici parce que des Thomas De Koninck, des Jean-Marc Narbonne, des Victor Thibaudeau et des Philippe Knee ont fait de moi la personne que je suis, en me remettant en question, en m'enseignant et en m'amenant ailleurs», a révélé Bruno Marchand devant certains de ses anciens professeurs.
La mission collective plus grande que l'individu
«Je me suis inscrit en philosophie parce que je voulais trouver des réponses à des pourquoi. Notamment, pourquoi l'autre agit-il comme il le fait? Dans notre société où tout va vite, on a tendance à escamoter les pourquoi pour accabler les autres de nos jugements. Or, si on est capable de se demander pourquoi, on est déjà dans un dialogue qui permet de mieux se comprendre», déclare Bruno Marchand avant de confier que la philosophie lui a aussi appris à positionner le «je» à sa juste place.
— Bruno Marchand
L'idée que le bien commun d'une collectivité importe davantage que l'ego est ainsi au cœur de l'engagement du maire Marchand. «J'aime mieux perdre des élections que transgresser la ligne qui est celle de vouloir gagner à tout prix. Je peux donner l'exemple de la taxe sur l'immatriculation pour financer le transport en commun. Il est bien évident qu'à moins d'un an des élections, une taxe, c'est un mauvais calcul pour favoriser sa réélection. Mais pour le bien commun, il fallait le faire. Pendant des décennies, personne n'a eu le courage de prendre une mesure impopulaire auprès d'une partie de l'électorat afin d'aider les gens qui ont un très grand besoin de transport en commun. C'est la philosophie qui me permet de dépasser les bas calculs politiques», explique le maire.
Douter et se remettre en question, même en politique
Bruno Marchand affirme avoir un jour lu une affirmation de Colin Powell qui lui a fait voir la politique sous un autre œil. Le secrétaire d'État américain dit qu'une bonne décision politique se prend lorsque 40% à 70% de l'information pertinente a été obtenue. «C'est sûr qu'on aimerait avoir 90% de l'information pour prendre une décision, mais ça prend trop de temps. Il faut préférer l'imperfection au néant, disait le frère Untel. Il faut donc avancer à la lumière des informations qu'on a. Toutefois, ça suppose de ne pas être têtu et dogmatique et d'accepter de se remettre en question et de rectifier le tir au besoin. Se remettre en question, c'est précisément l'une des grandes choses que m'a apportées la philosophie», confie le politicien.
— Bruno Marchand
Ce qui est fascinant, selon Bruno Marchand, c'est qu'en politique, il faut ne pas douter, donc savoir. «Mais pas trop savoir», ajoute-t-il aussitôt. En effet, comme il le remarque pertinemment, les intellectuels qui se lancent en politique sont souvent accusés d'être loin du peuple et déconnectés de la réalité. Beaucoup de politiciennes et politiciens populistes choisissent de se targuer d'ignorance. Pour sa part, Bruno Marchand, lui, continuera d'agir en philosophe et de chercher le fragile équilibre entre doute et savoir.
Bref, le maire de Québec poursuivra sa marche à contre-courant de certaines stratégies politiques actuelles: toujours chercher à coups de pourquoi, douter de ses décisions et favoriser le bien commun avant sa carrière. Voilà à quoi sert la philosophie dans l'arène politique!
La Faculté de philosophie célèbre ses 90 ans
Tout au long de l’année 2025, des conférences, rencontres, tables rondes et événements festifs auront lieu pour souligner l’apport de la philosophie à la société québécoise. La prochaine activité organisée dans le cadre de cet anniversaire – soit une demi-journée sur l’intelligence artificielle – se tiendra le 14 avril. Consultez la programmation complète de ces célébrations.
La Faculté de philosophie de l’Université Laval – l’une des rares unités de philosophie dans le monde à posséder un statut facultaire – possède une riche histoire intimement liée à l’évolution de la société québécoise. Pour mettre en lumière cette longue histoire, Pierre-Olivier Méthot, doyen de la Faculté, a écrit un article disponible gratuitement à la communauté de l'Université Laval sur la plateforme Érudit depuis le site de la Bibliothèque: «1935-2025: La Faculté de philosophie célèbre ses 90 ans d’existence!»