Un esprit sain dans un corps sain, dans un milieu de vie et un environnement sains, sur une planète en santé. Telle est la devise du Centre de recherche en santé durable VITAM, un centre affilié à l’Université Laval. «J’ai eu des milliers de conversations sur le terrain avec des citoyens sur le concept de santé durable et tout le monde trouve qu’il s’agit d’une bonne idée», explique Jean-Pierre Després, professeur au Département de kinésiologie de l’Université Laval et directeur du Centre VITAM. «Nous nous engageons à faire les choses avec les citoyens», ajoute-t-il.
Cette dynamique trouve aussi un ancrage en Suisse, à l’Université de Lausanne, dans le Centre universitaire de médecine générale et de santé publique Unisanté. «On sent cette dynamique de santé durable se développer dans plusieurs pays d’Europe, souligne le directeur général d’Unisanté, le professeur en santé communautaire Jacques Cornuz. Dans l’esprit de la santé durable, nous faisons converger la première ligne de soins et la santé publique.»
Le mercredi 16 octobre, au pavillon La Laurentienne de l’Université Laval, Jacques Cornuz a prononcé une conférence sur le thème «Unisanté Lausanne: au carrefour des enjeux de la santé durable». L’activité se voulait une occasion de jeter les bases d’un consortium francophone en santé durable. Selon Jean-Pierre Després, «nous sommes au début d’une histoire». «Au Québec, a-t-il poursuivi, on a beaucoup de maires et mairesses qui comprennent leur rôle et qui peuvent jouer comme des gouvernements de proximité. Et de l’autre côté de l’Atlantique, c’est un peu la même chose. Il y a une force collective qui pourrait permettre de démocratiser la santé et sortir du modèle classique hospitalo-centré de la santé. Les gens sont prêts. Je le dis avec beaucoup d’assurance après avoir parlé à tant de personnes. Quelle structure va le permettre? Pour nous, le modèle d’Unisanté est très inspirant.»
Pour le conférencier, VITAM et Unisanté constituent un bel exemple d’une réalisation francophone. «Jean-Pierre Després, moi et d’autres nous tenons beaucoup à consolider cette réalisation qui s’appuie sur une langue commune et des valeurs communes.»
En marge de sa présentation, en entrevue avec ULaval nouvelles, le directeur général a abordé les enjeux actuels de prévention et de santé durable, et la manière dont Unisanté les affronte.
Trois enjeux
Selon lui, les enjeux en question sont de trois ordres. Premièrement, il faut se situer en amont des maladies par la promotion de la santé. «Actuellement, a-t-il dit, les maladies chroniques ont un impact majeur sur le système de soins. Donc, si on veut diminuer cette pression, il faut agir en amont par des campagnes de prévention et faire la promotion de la santé via des politiques publiques qui doivent s’appuyer sur des faits, des données.»
Le deuxième enjeu concerne le vieillissement de la population. Selon Jacques Cornuz, il faut faire en sorte que les personnes qui vieillissent restent le plus longtemps possible en bonne santé. «La personne qui a un diabète doit le développer à 75 ou 80 ans, pas à 55. C’est ce qu’on appelle la compression de la morbidité.»
Troisièmement, le système de santé doit se réorienter vers une prise en charge en amont afin de mettre moins l’accent sur les centres hospitaliers. «Le système de soins hospitalier est totalement déséquilibré en défaveur des soins de première ligne, a-t-il indiqué. L’idée est de rendre aussi attractive la santé durable, les soins de première ligne, que l’est la médecine triomphante. La première ligne peut aussi être triomphante.»
Comment le personnel d’Unisanté affronte-t-il les enjeux actuels de la santé durable?
«Notre approche comprend trois parties, a répondu Jacques Cornuz. D’abord, nous avons la chance d’être sur le terrain avec notre bus par lequel nous faisons l’état de santé des patients. Ensuite, nous faisons des dépistages et des suivis. La personne asymptomatique, on évite que trois ans plus tard elle ait besoin de traitements à l’hôpital. Nous faisons le dépistage du cancer du sein, du colon et maintenant du poumon. On va ensuite s’intéresser au dépistage de l’ostéoporose ou autres maladies. Enfin, nous formons la première ligne de soins dans le domaine de la prévention. Vous consultez parce que vous avez une entorse à la cheville. Le professionnel soignant va en profiter pour s’intéresser à votre santé en général. Il faut profiter de la très bonne crédibilité des soignants dans la population pour prévenir les maladies.»
La communication, un aspect primordial
Jean-Pierre Després a insisté sur l’importance centrale de la communication dans une démarche de santé durable.
«On a besoin d’entretenir des conversations très étroites avec tous les acteurs de ce modèle socioéconomique nouveau, a-t-il affirmé. L’Université Laval le fait, notamment avec la Ville de Québec et le CIUSSS, le Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Capitale-Nationale. Pour l’Université, son rôle est important au point de vue de la formation interdisciplinaire. Les partenaires doivent apprendre à parler le même langage et à se respecter. Cela veut dire que les sciences sociales sont aussi respectables que la médecine triomphante. Reconfigurer un modèle socioéconomique interpelle toutes les facultés. La Ville, elle, a à cœur la qualité de vie de ses citoyens. Imaginez le pouvoir de résolution de cette triade qui réunit l’expertise universitaire, la Ville comme gouvernement de proximité et un organisme comme le CIUSSS. On peut faire des choses extraordinaires ensemble. Mais on reconnaît que c’est un défi. On y travaille.»
Pour sa part, Jacques Cornuz a dit voir trois axes de collaboration entre VITAM et Unisanté. Premièrement, les deux villes s’appuient sur un centre universitaire. «C’est très intéressant pour leurs politiques publiques, a-t-il expliqué. Ça crédibilise cette volonté de nos deux maires en s’appuyant sur deux institutions qui sont sœurs.» Deuxièmement, le personnel des deux centres sont des pionniers. «On aime ça s’entraider, a-t-il ajouté. Parce que quand on est au conseil de faculté face à des spécialistes, on est minoritaires. Quand on fait des choses et qu’on sait que d’autres le font avec beaucoup de succès, ça donne plus de force et de confiance.» Troisièmement, ce que VITAM et Unisanté développent, ce sont des échanges formels de stagiaires, d’étudiantes et étudiants aux doctorat «pour qu’on ait une pollinisation croisée de façon à s’immiscer dans une même dynamique».
Selon lui, VITAM et Unisanté évoluent chacun dans un écosystème particulier au dénominateur commun et aux spécificités locales.
Démocratie directe
Dans son allocution, le directeur général a parlé de la démocratie directe en Suisse. «Depuis quelques années, a-t-il précisé, on voit que les citoyens mettent à l’agenda des objets de santé et de soins dans le cadre de référendums d’initiative populaire. C’est nouveau. Ce n’était pas comme ça il y a 30 ou 40 ans.» Il a aussi parlé de la création, par Unisanté dans un nouveau quartier de Lausanne, d’un centre où l’on travaille autant sur les soins de santé en amont que sur les problématiques sociales.
La conférence de Jacques Cornuz a préparé le terrain à la tenue d’une conférence internationale sur la santé durable qui aura lieu à l’Université Laval le 3 décembre prochain sur le thème «La santé durable, vecteur de progrès socioéconomique». Elle réunira des décideurs municipaux, des acteurs économiques, des chercheurs et des citoyens autour d’une vision commune de l’impact profond de la santé durable sur la vitalité économique des communautés, stimulant la productivité, l’innovation et la qualité de vie en général.
«Cette conférence est un jalon dans une démarche qui est irréversible, a affirmé le professeur Després. Les citoyens sont étudiés, consultés, mais ils ne sont jamais impliqués dans les décisions. Or, la santé est un enjeu socioéconomique.»