De l'Internet sécurisé aux voitures autonomes, les puces photoniques et quantiques transportent l'information sous forme de lumière. Pour éviter qu'elle ne rebrousse chemin et ne brouille les cartes, les isolateurs optiques sont essentiels. Leur taille pose toutefois un enjeu d'intégration. L'entreprise montréalaise Aeponyx a lancé à l'équipe du professeur Réal Vallée du Centre d'optique, photonique et laser (COPL) le défi de réaliser cette miniaturisation.
Grâce à une approche innovante d'inscription laser, l'équipe a créé le premier isolateur optique miniature, plus petit qu'une mine de crayon, pouvant être intégrée aux micropuces et démontrant des performances répondant aux besoins les plus exigeants.
«La compagnie nous a contactés parce qu'elle savait que nous étions en mesure de le faire, que nous avions l'expertise et les ressources pour répondre à leurs besoins et à leurs attentes», soutient Réal Vallée.
Leurs résultats, publiés dans la prestigieuse revue Nature Photonics, représentent un tournant dans le domaine. «La taille des isolateurs est perçue comme le maillon manquant pour l'intégration complète des circuits photoniques et quantiques. Une puce photonique tient sur une tête d'épingle, alors que l'isolateur est 100 fois plus gros et connecté par des fibres optiques et des lentilles. Dans des centres de données comme celui de Google, on retrouve des centaines de milliers d'isolateurs», explique Jérôme Lapointe, professionnel de recherche et premier auteur de l'étude.
Une innovation technique
Une particularité des isolateurs optiques est le besoin d'un champ magnétique pour limiter la propagation de la lumière en une seule direction. Ce champ est habituellement créé avec un puissant aimant. L'utilisation d'un matériau automagnétique permet toutefois un fonctionnement sans cet aimant externe et contourne, par le fait même, la contrainte de taille.
Pour que la lumière se propage dans les isolateurs sans nécessiter des lentilles, elle doit avoir un chemin tracé à même le matériau. «On trace un guide d'onde qui agit à la manière d'une fibre optique», précise Réal Vallée. Le défi était de tracer ce guide en modifiant fortement la structure du matériau, sans l'endommager et sans lui faire perdre ses propriétés magnétiques.
Pour ce faire, l'équipe a dû mettre au point une nouvelle méthode d'inscription laser, appelée technique d'écriture laser en spirale-hélice améliorée par filament. Cette technique, qui fait l'objet d'un brevet, utilise un laser avec des impulsions de femtosecondes, soit un millionième de milliardième de seconde. «C'est la même puissance que pour illuminer la ville de New York en un temps très court», illustre Jérôme Lapointe.
«Il existe d'autres approches, mais elles font toutes des compromis assez importants, notamment sur la plage de longueur d'onde, sur les pertes, sur l'isolation, explique Réal Vallée. Notre technique d'inscription laser tient compte de tous ces paramètres-là.»
«On a joué de chance, car ça aurait pu ne pas fonctionner. On ne savait pas si la lumière allait modifier les propriétés magnétiques. Il fallait aussi contourner les risques de fissures, qui se propagent comme dans la vitre d'un pare-brise, ajoute Réal Vallée. Bref, la réalisation pratique de ce dispositif s'est avérée tout sauf triviale, ce qui explique pourquoi personne ne l'avait fait avant nous.»
Moins de matériaux, moins d'énergie
Un isolateur optique plus petit et qui ne nécessite pas de lentilles et d'aimants pour fonctionner réduit non seulement la quantité de matériaux nécessaire à la fabrication, mais aussi son coût et sa consommation d'énergie. De plus, comme le chemin à parcourir par la lumière est plus court, le transfert des données est accéléré. «Cette avancée trace la voie vers des micropuces plus performantes et écologiques», soutient Jérôme Lapointe.
Leur isolateur a aussi l'avantage d'être reproductible, un aspect important pour la commercialisation. Toutes les prochaines générations de circuits photoniques sont susceptibles de l'intégrer, les retombées pourraient être énormes», indique le professeur. «On peut aussi penser aux éventuelles puces quantiques, ajoute Jérôme Lapointe. On est en avance sur notre temps.»
L'étude a été publiée dans Nature Photonics. Les signataires sont Jérôme Lapointe, Albert Dupont et Réal Vallée, de l'Université Laval, et Cedrik Coia de Aeponyx.