
— Getty Images/Girafchick123
Personne ne conteste les mérites de l'interdisciplinarité en milieu universitaire, mais cette approche collaborative ne va pas sans chambouler les façons de faire. Comment l'Université Laval doit-elle procéder pour amener l'interdisciplinarité, un élément central de son plan stratégique quinquennal, à un niveau supérieur afin qu'elle devienne une partie intégrante de son ADN?
Voilà la question qui était au cœur des discussions lors d'une table ronde qui s'est déroulée dans le cadre de la conférence réseautage Propulser l'interdisciplinarité en recherche, présentée sur le campus le 9 octobre par le Vice-rectorat à la recherche, à la création et à l'innovation et par le Vice-rectorat aux études et aux affaires étudiantes, avec le soutien de Sentinelle Nord.
Pour lancer les discussions, le comité organisateur avait invité une experte du domaine, Sabine Hoffmann, chercheuse de l'Institut fédéral suisse des sciences et technologies de l'eau. La professeure Hoffmann cumule plus de 20 ans d'expérience dans la direction de projets et de programmes de recherche interdisciplinaire et elle copréside le groupe de travail Experts et expertise en matière d'intégration de l'Alliance mondiale pour l'interdisciplinarité et la transdisciplinarité.
«Pour favoriser l'intégration de l'interdisciplinarité dans une université, il faut une combinaison d'actions venant de la direction (top-down) et de la base (bottom-up), estime-t-elle à la lumière de sa vaste expérience. Il faut aussi pouvoir compter sur un nombre critique de personnes très motivées qui croient à l'interdisciplinarité et qui peuvent jouer le rôle de rassembleur au sein d'équipes constituées de spécialistes de différents domaines qui souhaitent travailler ensemble.»
L'interdisciplinarité, a-t-elle ajouté, implique qu'il faut être capable d'écouter les autres, de s'ouvrir à leurs valeurs, à leurs attentes, à leurs méthodes et à leurs expériences. «Il faut beaucoup d'humilité pour reconnaître que notre vision des choses n'est qu'une possibilité parmi plusieurs autres.»

Eugénie Brouillet, vice-rectrice à la recherche, à la création et à l'innovation, et animatrice de la table ronde en compagnie des panélistes Sabine Hoffmann, Stéphane Roche et Annie Pilote.
Stéphane Roche, professeur au Département des sciences géomatiques de l'Université Laval, qui participait lui aussi à la table ronde, estime pour sa part que le succès d'une équipe interdisciplinaire dépend de la capacité de reconnaître ce qui nous manque et de chercher des complémentarités. «Cela implique qu'il faut mettre notre égo de côté et admettre qu'on ne sait pas tout. En général, les universitaires sont mal préparés à ça. Il faut aussi accepter de laisser notre perspective disciplinaire de côté. On y gagne au change parce que des visions croisées aident à trouver des solutions aux problèmes complexes de la société.»
«L'interdisciplinarité n'est pas pour tout le monde et ce n'est pas une fin en soi. C'est un moyen, a fait valoir Annie Pilote, professeure au Département des fondements et pratiques en éducation, et doyenne de la Faculté des études supérieures et postdoctorales de l'Université Laval. Dans le mot interdisciplinaire, il y a le mot discipline. Il est important de commencer par développer une identité disciplinaire. L'interdisciplinarité est une compétence supplémentaire qui peut être acquise dans le cadre d'une formation ou par la pratique. Il faut trouver des moyens pour exposer le plus grand nombre de personnes à un éventail d'idées.»
L'interdisciplinarité peut elle aussi s'enfermer dans des silos, prévient-elle. «Cela peut se produire si l'on travaille toujours avec les mêmes personnes autour d'une thématique donnée. Il faut de la souplesse, il faut créer des lieux, des espaces pour favoriser les croisements de perspectives propices à l'improbable et à l'émergence de nouvelles idées.»
La culture universitaire ne favorise pas naturellement l'émergence de l'interdisciplinarité, ont constaté les trois panélistes. D'abord, l'expertise en recherche découle d'une formation hyperspécialisée dans un domaine pointu caractérisé par ses méthodes, son vocabulaire et ses exigences propres. D'autre part, l'évaluation des universitaires, que ce soit pour l'attribution de subventions ou pour l'avancement de carrière, repose sur des critères d'excellence qui font une large place à la liste de publications scientifiques. Résultat: tout ce qui exige un investissement en temps sans conduire à des publications savantes peut sembler contreproductif. Enfin, l'environnement traditionnel dans lequel évoluent les chercheurs universitaires favorise davantage la compétition que la collaboration.
Au terme des échanges, un constat s'est imposé. Les meilleures façons de propulser l'interdisciplinarité à un niveau supérieur en formation et en recherche restent à définir, mais la réponse ne pourra venir que d'un effort concerté des membres de la communauté universitaire, des équipes de recherche et des instances décisionnelles de l'Université Laval.