Le mardi 8 octobre en après-midi, l’amphithéâtre Hydro-Québec du pavillon Alphonse-Desjardins a accueilli quatre personnalités québécoises membres du Cercle des leaders de l’Université Laval. Ce 4e Forum du Cercle des leaders réunissait l’avocat et ancien premier ministre du Québec, Lucien Bouchard, la coprésidente de la chaîne hôtelière Germain, Christiane Germain, la pédiatre et ancienne présidente internationale de Médecins sans frontières, Joanne Liu, et l’entrepreneur social Fabrice Vil.
Durant une heure et demie, les panélistes ont partagé leur vision et leur expertise sur le thème du leadership inclusif dans un monde pluriel. La professeure Sophie Brière, du Département de management, jouait le rôle de modératrice.
«Le leadership inclusif, c’est un leadership collectif, a-t-elle résumé. C’est reconnaître les expériences diversifiées et l’unicité des personnes, créer un sentiment d’appartenance et d’inclusion entre les personnes et institutionnaliser l’inclusion à travers un processus de changement qui permet de réduire les inégalités. C’est aussi reconnaître que nous avons le droit à l’erreur, et que nous avons encore beaucoup à apprendre et à partager. Nous devons reconnaître nos angles morts, nos biais et également nos comportements et pratiques non inclusives.»
Pour rappel, le Cercle des leaders a été créé en 2019. Il réunit des personnalités québécoises d’envergure. Il accompagne et inspire les étudiantes et étudiants des Chantiers d’avenir. Ces formations ont été créées sur mesure à l’Université Laval pour répondre à des défis complexes de société. D’ailleurs, les questions ayant servi de base aux échanges entre les panélistes venaient de certains de ces étudiantes et étudiants.
Individualisme et inégalités
Une des premières questions portait sur la façon de réaliser un leadership inclusif dans un monde axé sur l’individualisme. Selon Lucien Bouchard, on ne pourra jamais faire disparaître le fait que l’humain est un individu animé par l’ambition, la compétition et le désir de dominer. «Ce n’est pas forcément mal, a-t-il poursuivi, mais une dynamique doit tendre vers l’inclusion. Il y a eu des tendances vers l’inclusion dans l’histoire. Les États-Unis, au départ, étaient basés sur un rêve d’inclusion. L’Union européenne est un autre exemple qu’il faut être ensemble.»
Pour sa part, Fabrice Vil a rappelé que «la Terre nous réunit, c’est notre point commun, comme chez les Autochtones». Quant à Joanne Liu, elle a insisté sur la reconnaissance «de l’humain dans l’autre». «Ça m’habite et me heurte, la façon dont les politiciens parlent des migrants, a-t-elle dit. C’est déshonorant. Ce n’est pas parce que tu as quitté ton pays que tu n’as plus aucun droit. Je trouve ça indécent, méga cheap.»
Une autre question touchait aux inégalités dans les organisations. La professeure Brière a mentionné que 26% des sièges sont occupés par des femmes dans les conseils d’administration des sociétés. Au Québec, les membres des Premiers Peuples occupent 0,3% des postes dans les organismes publics. Des chiffres récents montrent que les femmes médecins spécialistes gagnent en moyenne 105 000$ de moins que leurs collègues masculins.
Selon l’ancien premier ministre, la situation des femmes s’améliore dans le secteur privé. «Sur les 10 meilleurs étudiants qui sortent de l’université, a-t-il expliqué, il y a une proportion incroyable de femmes.» Pour Christiane Germain, les femmes sont «super bonnes». «Je dis souvent aux employées femmes: “Allez-y!” Quand on propose un défi à un homme, il va dire: “Ok, je vais y aller”. Une femme va répondre: “Ah non, je ne suis pas prête”». Dans l’hôtel Germain de Toronto, il se parle pas moins de 22 langues parmi le personnel. «C’est tellement enrichissant, a-t-elle affirmé. Cela donne l’occasion de grandir.»
Quant à Joanne Liu, elle a rappelé une certaine époque où le conseil d’administration de Médecins sans frontières n’avait que des représentants européens et nord-américains. «Deux postes étaient réservés aux Africains et aux Asiatiques, mais personne ne posait sa candidature. Aujourd’hui, le conseil a la parité.»
Crise climatique, polarisation sociale
Sur l’inclusion face à la crise climatique, Fabrice Vil a eu le commentaire suivant: «L’humanité connaît une certaine forme de déclin et il y a un potentiel de crises à venir. Nos conditions de vie vont reculer et des mécanismes, produits, façons de faire, manières d’être nouvelles seront nécessaires.»
Pour sa part, Lucien Bouchard a dit croire à la sensibilité de la classe politique face à la crise climatique. «Les gouvernements, tout comme les familles, sont mobilisés, a-t-il ajouté. Tout est une question de moyens à mettre dans la lutte aux changements climatiques. Pour engager un vrai combat, il faudrait accepter collectivement une décroissance pour placer l’argent ailleurs. Mais ça ne se fera pas!»
Face à la polarisation sociale qui s’observe sur plusieurs enjeux, comment peut-on rassembler les gens dans une vision collective? À cette question, Joanne Liu a répondu que «les gens qui se polarisent coupent les ponts entre eux». «On est capables de régler, a-t-elle affirmé. Je prône pour cela, le multilatéralisme. Ce n’est pas une bonne chose de parler uniquement à ceux qui pensent comme nous.»
Selon Christiane Germain, la ou le leader doit être à l’écoute dans sa démarche d’inclusion «pour comprendre vraiment ce que nos gens veulent». «Nous faisons assez couramment des sondages et on tient compte des commentaires de nos employés», a-t-elle ajouté.
L’ancien premier ministre a demandé: «Quand aura-t-on le Churchill de l’environnement alors qu’on observe une crise de leadership au niveau mondial?» Il a rappelé que ce politicien britannique a été honni pendant 10 ans alors qu’il mettait l’Europe en garde contre le réarmement de l’Allemagne. «À la fin de la guerre, a-t-il ajouté, Churchill avait sauvé la démocratie européenne.»
Joanne Liu est revenue sur son expérience avec Médecins sans frontières. «Je viens du milieu humanitaire, un milieu inclusif, mais fauteur de troubles, a-t-elle expliqué. Je dis souvent que je suis une personne pragmatique avec des principes. Dans le leadership inclusif, il faut faire des compromis. Il y a une panoplie de solutions imparfaites. Si l’humanité fait ça, on va aller un peu plus loin.»
En guise de conclusion, la rectrice Sophie D’Amours est revenue sur la posture du leader. «Pour certains, a-t-elle dit, cela se manifeste dans les responsabilités à assumer. Pour d’autres, cela se définit dans la compétence, dans les habiletés individuelles, dans l’écoute. Au bout du compte, il faut se poser la question “Pourquoi je veux être un leader inclusif?” À l’Université Laval, ce qu’on souhaite le plus est que la personne qui a le talent et l’ambition puisse poursuivre des études universitaires en surmontant un handicap ou une différence. Comme leader, nous avons la responsabilité de mettre en place les conditions d’accueil et de réussite de toutes et de tous.»