En entrevue, le fils écoute le père respectueusement, admirativement. Mathis a 21 ans. Presque autant d'années prises par son père, Claude Giroux, pour terminer son doctorat en communication publique, à l'Université Laval. La dernière année, ils l'ont passée ensemble, «collègues étudiants au même département», a écrit le fier papa sur son compte LinkedIn.
«Ça fait partie de l'explication, quand les gens s'étonnent que mon projet de doctorat ait pris deux décennies. Je travaillais au gouvernement à plein temps, j'avais une famille à plein temps et j'étais un papa qui s'impliquait auprès de ses deux garçons», décline Claude Giroux, selon qui il n'y a pas de parcours unique et linéaire pour faire des études aux cycles supérieurs.
«Pour moi, il est un message de persévérance. Je l'ai toujours connu en train de travailler sur son doctorat, tout en étant vraiment présent pour mon frère et moi, lance Mathis Larose-Giroux, qui entamera sa seconde année au baccalauréat en septembre. J'en apprends dans mes cours, mais quand je parle avec lui, j'ai une autre vision des choses qui me permet de compléter le contenu.»
Père et fils ont une passion commune pour la communication persuasive. Le premier avec un penchant pour la publicité sociale et la santé, le second avec dans sa ligne de mire le marketing et la vente.
«Les campagnes de prévention, comme des médicaments»
Pharmacien de formation, Claude Giroux a travaillé en prévention de l'abus de drogues, et c'est son association avec des gens de communication pour des campagnes de sensibilisation qui a été pour lui un déclic. «J'ai trouvé que les campagnes étaient un bel outil pour faire de la prévention. C'est ce qui m'a amené à entreprendre une maîtrise en communication publique.» Une fascination qui l'a ensuite poussé au doctorat.
La double compétence, «qui combine des façons différentes d'approcher les problèmes», est pour lui une valeur ajoutée. Après quelques années de pratique en pharmacie et après avoir dirigé l'Ordre des pharmaciens du Québec, il a été praticien-chercheur au ministère de la Santé et des Services sociaux, et travaille aujourd'hui dans les stratégies de prévention à la Société d'assurance automobile du Québec.
Sa vision des communications, dit-il, est un peu pharmaceutique: «Les campagnes de prévention, ça se compare tellement bien aux médicaments. C'est un instrument qui nous permet d'améliorer et de protéger la santé des gens. Il faut la bonne campagne, au bon moment, à la bonne quantité – car ça existe une surdose de campagne! On sait quel est l'effet recherché, mais il peut y avoir des effets secondaires. On peut prétester pour être certain, ou un peu plus sûr, de ce que l'on fait.»
Prétester des pubs de port du condom, d'une salle de labo à Woodstock en Beauce
Sa thèse de doctorat, sous la direction de la professeure June Marchand, portait d'ailleurs sur la méthodologie du prétest publicitaire. Il explique que cet outil est «l'un des éléments essentiels du succès des campagnes en publicité sociale» et qu'il est utilisé par les décideurs pour évaluer s'ils investissent ou non dans un projet soumis par une agence de création.
Règle générale, dit-il, ces prétests se déroulent dans une salle de laboratoire munie d'un miroir sans tain, qui permet à des observateurs d'entendre les avis et commentaires des participants à un groupe de discussion sur les projets publicitaires sans les perturber.
«Dans les publications scientifiques, le lieu des prétests est habituellement considéré comme sans importance. Or, les résultats de mon étude montrent que le contexte peut avoir une influence et que les salles d'observation peuvent affecter les conclusions des prétests», indique Claude Giroux.
Pour arriver à ces résultats, il a prétesté des publicités de promotion de port du condom auprès de groupes de jeunes adultes dans trois contextes différents: une salle avec miroir sans tain, le salon d'une résidence privée, et une tente sur le site du festival Woodstock en Beauce.
«Par exemple, dans le contexte du festival en plein air, dans un climat de permissivité où tout pouvait être dit sans crainte d'être jugé, une affiche testée a été perçue négativement – "Si les gens pensent qu'on va lire ça, c'est illisible!" –, contrairement aux commentaires entendus dans le contexte plus formel de la salle avec miroir. Ça vaut donc la peine de se poser la question quand on veut prétester une campagne: quel est l'endroit le plus approprié pour que les gens puissent s'exprimer librement, sans peur d'être jugés?»
Riche de tout ce bagage, Claude Giroux caresse un projet de livre pour outiller les promoteurs de campagnes publicitaires.
«Si beaucoup de personnes pensent qu'étudier en communication, c'est apprendre à parler, moi je pense que c'est surtout apprendre à écouter, d'où mon intérêt pour les groupes de discussion et les prétests.»
Quand on lui demande ce que représente l'aboutissement de son parcours doctoral, l'homme de 66 ans répond: «Je l'ai fait par satisfaction personnelle. J'avais l'idée de faire avancer les choses, avec le regard particulier que je pouvais apporter comme pharmacien. Et, bien sûr, j'avais la motivation de montrer à mes gars que lorsqu'on commence quelque chose dans la vie, peu importe le temps que ça prend, on peut le finir.»