Le 9 juin 1924, en réponse à l'évolution des besoins de la société et aux pressions exercées par la communauté des pharmaciens de la ville de Québec, les autorités de l'Université Laval créaient l'École de pharmacie. Cent ans plus tard, la Faculté de pharmacie profite de cet anniversaire pour honorer les personnes qui ont marqué son histoire, pour prendre la mesure du chemin parcouru en enseignement et en recherche, et pour convier ses diplômés à un grand rassemblement visant à célébrer dignement ce centenaire.
L'École de pharmacie a été créée il y a 100 ans, mais l'enseignement de la pharmacie à l'Université Laval avait commencé 66 ans plus tôt, signale Gilles Barbeau, professeur émérite et auteur de Curieuses histoires d'apothicaires et d'Histoire de la Faculté de pharmacie de l'Université Laval. Ce dernier ouvrage, qu'il signe avec la pharmacienne diplômée de l'Université Laval Marthe Huot, a été lancé le 6 juin lors d'une activité marquant le début des célébrations du centenaire de la Faculté.
De l'apothicaire au pharmacien
En effet, dès 1858, la Faculté de médecine de l'Université Laval commence à offrir des cours sur les médicaments aux étudiants en médecine et à des auditeurs libres qui se destinaient à la pratique de la pharmacie. «Ces auditeurs libres, au nombre de quatre, suivaient des cours de botanique, de chimie et de matière médicale, et ils payaient leurs cours à la pièce», précise Gilles Barbeau.
À l'époque, la loi n'obligeait pas les apothicaires à suivre une formation universitaire. «C'est le modèle européen d'apprentissage qui avait cours, poursuit-il. Les apprentis apprenaient les rudiments de la profession en travaillant avec un maître de stage qui détenait un permis de pratique. Cette formation pouvait durer plusieurs années et les apprentis devaient réussir un examen devant un comité d'examinateurs pour obtenir leur permis de pratique.»
Difficile d'avoir des données précises sur le nombre d'apothicaires qui pratiquaient au Québec à la fin du 19e siècle, mais la population consultait abondamment ces professionnels de la santé, avance Gilles Barbeau. «On allait volontiers chez l'apothicaire parce que c'était moins cher que chez le médecin et parce qu'il préparait des médicaments sur demande. À la campagne, il arrivait que les pharmaciens aient une pratique élargie, qui pouvait inclure des actes associés à la médecine. Il y avait donc une certaine compétition avec les médecins qui, pour leur part, pratiquaient un peu la pharmacie.»
À cette époque, les pharmacies étaient des endroits où l'on trouvait non seulement des médicaments, mais aussi des articles de toilette, des parfums, des remèdes pour animaux et des semences pour les jardins. «La pharmacie avait un peu la vocation de magasin général, observe Gilles Barbeau. Plus tard, les pharmaciens ont commencé à vendre des cigares, des cigarettes, du chocolat et de la pellicule photo. Certaines pharmacies avaient même un comptoir lunch. Ce modèle, qui visait à assurer la rentabilité du commerce, est devenu la norme pour la plupart des pharmacies.» L'auteur-compositeur-interprète français Charles Trenet s'est d'ailleurs inspiré de cette particularité québécoise pour écrire sa chanson Dans les pharmacies en 1951.
Une autre querelle Québec-Montréal
En 1870, le gouvernement adopte l'Acte de pharmacie, la première mesure visant à encadrer la pratique de la pharmacie au Québec. C'est à ce moment que les apothicaires deviennent des pharmaciens. Cinq ans plus tard, la loi est modifiée afin de préciser les étapes à franchir pour devenir pharmacien licencié.
Dorénavant, pour pratiquer la pharmacie, il faut être membre de l'Association pharmaceutique de la province de Québec (APPQ, l'ancêtre de l'Ordre des pharmaciens du Québec), ce qui implique l'obligation d'avoir effectué un stage de formation ou d'avoir suivi des cours offerts dans des universités. «Cette mesure visait notamment à assurer la protection de la population parce que des individus exerçaient librement la pharmacie sans posséder aucun permis ni avoir satisfait à aucun examen», signale Gilles Barbeau.
Au début du 20e siècle, les connaissances en pharmacologie progressent à grands pas et la nécessité d'une formation plus poussée s'impose. En 1906, l'Université Laval ouvre à l'Université de Montréal, qui était alors sa succursale, l'École de pharmacie Laval à Montréal. C'est là que sont formés les premiers bacheliers en pharmacie au Québec.
Dix ans plus tard, l'APPQ ajoute un cours de pharmacie pratique à la formation obligatoire en pharmacie. Comme ce cours n'est pas offert à l'Université Laval, les étudiants de Québec doivent se déplacer à Montréal, à grands frais, pour terminer leur formation.
«Plusieurs pharmaciens de Québec se mobilisent pour que ce cours soit aussi offert à l'Université Laval, rappelle Gilles Barbeau. De plus, l'Université de Montréal était sur le point d'obtenir sa propre charte, ce qui allait priver l'Université Laval de son école de pharmacie de Montréal. Ce sont ces événements qui ont amené la prise de conscience qu'il fallait créer une école de pharmacie à Québec. Il a fallu plusieurs années de travail, mais l'École de pharmacie de l'Université Laval a finalement vu le jour en 1924.»
Du médicament vers le patient
Au cours du dernier siècle, les progrès de la science et l'évolution des besoins de la société ont changé la pratique de la pharmacie ainsi que la façon de former la relève en pharmacie, notamment à l'Université Laval. Les détails de cette histoire sont trop complexes pour être racontés ici, mais une dominante se dégage, constate Gilles Barbeau, qui a été le dernier directeur de l'École de pharmacie (1995-1997) et le premier doyen de la Faculté de pharmacie (1997-1998).
«Auparavant, le pharmacien était un chimiste spécialisé en préparation de médicaments. Sa pratique est maintenant centrée sur le patient et sur les conseils aux patients. Il m'arrive moi-même régulièrement de demander des informations à mon pharmacien. C'est encore le professionnel de la santé qui est le plus facilement accessible.»
Depuis sa création, la Faculté de pharmacie de l'Université Laval a décerné plus de 7200 diplômes. Près de la moitié des pharmaciens du Québec sont diplômés de l'Université Laval.
La Faculté compte aujourd'hui 34 professeurs réguliers (bientôt 35), 14 chargés d'enseignement, un responsable de formation pratique, 30 membres du personnel administratif ou de soutien, 13 chargés de cours, 150 conférenciers, une quarantaine de professeurs de clinique et plus de 1000 chargés d'enseignement clinique. Tout ce personnel encadre plus de 1000 étudiants et étudiantes inscrits aux 11 programmes de formation des trois cycles d'études.
Selon l'Ordre des pharmaciens du Québec, il manquerait présentement 3000 pharmaciens au Québec. «Nous participons à l'effort collectif pour contrer cette pénurie, souligne l'actuelle doyenne de la Faculté de pharmacie, Julie Méthot. Dès la rentrée de septembre, le nombre d'admissions au programme de doctorat en pharmacie va passer de 192 à 224.»
La doyenne constate que de plus en plus d'actes sont délégués aux pharmaciens et qu'ils disposent d'une plus grande autonomie dans leur pratique, comme en fait foi le projet de loi 67. «Un de nos défis est de nous assurer que notre formation est en adéquation avec la pratique. Nous avons été très agiles pour cela dans le passé et nous allons le demeurer. L'élargissement de la pratique sera d'ailleurs le thème de notre symposium annuel, qui se déroulera le 25 octobre.»
Parmi les autres activités qui ponctueront ce centenaire, mentionnons les Grandes Retrouvailles, qui auront lieu le 26 octobre, et un grand gala qui se déroulera au terme de deux journées de formation, les 5 et 6 juin 2025, organisées conjointement par la Faculté de pharmacie et par quatre associations professionnelles. Ces journées, auxquelles sont conviés tous les pharmaciens du Québec, sont placées sous un thème on ne peut plus approprié dans les circonstances: «Ensemble vers le nouveau siècle pharmaceutique».