L’esprit d’aventure est toujours vivant! Deux membres du personnel du Département des sciences du bois et de la forêt s’apprêtent à en faire une démonstration éclatante dans le cadre d’une incroyable odyssée: la traversée d’une durée de six mois, uniquement par la force de leurs bras et de leurs jambes, du Grand Nord canadien. Le périple, baptisé Expédition AKOR 2024, se fera à vélo, en canot, en voilier puis à pied. Il se déroulera au nord du 60e parallèle, en région arctique loin des routes connues et documentées, dans l’axe ouest-est, depuis la frontière est de l’Alaska jusqu’à la côte est de l’île de Baffin, au Nunavut.
Les deux grands aventuriers de plein air de l’Université Laval sont des experts en eau vive et en descente de rapides. Ils ont pour noms Guillaume Moreau, professeur, et Catherine Chagnon, professionnelle de recherche. Ce qui est étonnant dans leur cas est qu’ils n’en seront pas à leur première extrêmement longue expédition dans la grande nature sauvage. En 2021, le premier a accompli tout un exploit sportif avec ses compagnons du moment en traversant le Canada du nord au sud sur une distance inimaginable de 7600 kilomètres, bien au-delà du cercle polaire jusqu’à la frontière américaine au sud de l’Ontario. Une expédition encore jamais tentée d’environ huit mois en skis de fond, en canot, puis en vélo.
Catherine Chagnon était de la partie. Elle a joint l’équipe six semaines avant la fin de la traversée en canot des lacs et rivières du Nunavut. Cette fois, elle fera l’entièreté du parcours qui débutera à Beaver Creek avec le vélo. Elle sera accompagnée d’un aventurier de plein air expérimenté ayant réalisé l’odyssée de 2021, Nicolas Roulx. Guillaume Moreau, pour sa part, entrera dans la ronde autour du 10 mai lorsque débutera l’étape du canot. Pour des raisons professionnelles, il se limitera à cette portion du voyage, la plus longue de l’expédition, la plus dangereuse aussi. Quatre canoteurs prendront le départ. Un mois plus tard, deux autres s’ajouteront. Cette étape devrait prendre fin à Baker Lake, au nord de la baie d’Hudson côté ouest où attendra un voilier. En trois semaines, celui-ci conduira les deux cyclistes-canoteurs à travers la baie et le détroit d’Hudson, jusqu’à l’île de Baffin. Durée de l’étape de canot: trois mois. Distance: 3000 kilomètres.
Un collectif d’aventuriers
AKOR est un collectif d’aventuriers québécois qui réalise des expéditions en régions isolées, des lieux marqués par la démesure. Neuf d’entre eux participeront à l’expédition 2024. Plusieurs sont des diplômés de l’Université Laval. Les fabricants québécois seront à l’honneur puisqu’ils fourniront les vélos et les canots. Au plan financier, cette grande aventure coûtera 300 000$.
«Dans ces territoires extrêmement sauvages, nous sommes confrontés à une nature infiniment plus puissante que soi», souligne le professeur. Pour Catherine Chagnon, «il y a quelque chose de magique à vivre cette force». «C’est tellement grand, c’est tellement brut, dit-elle, l’espèce de rapport de force entre toi, l’infiniment petit, et le côté infiniment grand de la nature, c’est vraiment émouvant. Ça donne le vertige. Une connexion forte se crée. Tu es constamment dans le moment présent. Tu veux y retourner.» Guillaume Moreau ajoute: «C’est l’inverse d’une expérience surhumaine. Sur ce territoire infiniment grand, on se reconnecte sur ce qu’est être un humain sur cette planète.»
D’abord le Yukon à vélo
Le mercredi 17 avril, Catherine Chagnon a pris l’avion avec son équipement à destination de Whitehorse, la capitale du Yukon. Nicolas Roulx l’accompagnait. Ce diplômé en sciences géographiques de l’Université Laval, aujourd’hui professeur dans une école secondaire, fera lui aussi l’entièreté du parcours. Ils seront les seuls à couvrir toute la distance. Ils prendront le départ le 20 avril à la frontière du Yukon et de l’Alaska. Cette première étape devrait durer deux semaines.
En entrevue avec ULaval nouvelles, quelques jours avant le départ, la professionnelle de recherche a déclaré qu’il était évident, pour les participants de l’expédition de 2021, qu’ils repartiraient un jour dans la toundra. «Il ne restait qu’à choisir un trajet qui nous intéressait, explique-t-elle. Le chemin choisi présente un énorme défi au niveau de la logistique, mais rallie des paysages arctiques des plus spectaculaires. Nous travaillons depuis deux ans à préparer méticuleusement cette expédition. Le matériel, l’expertise et les personnes d’expérience nécessaires pour chaque section de l’expédition sont désormais réunis et nous voyons arriver notre départ avec beaucoup d’excitation.»
Leur équipement technologique comprend notamment un téléphone satellitaire, une caméra d’action, un appareil photo et un drone. Pour se déplacer sur le territoire, ils se serviront de boussoles, de cartes topographiques et du GPS. «Nous avons prévu faire un documentaire, poursuit-elle. Nous serons en contact une fois par semaine avec le sud par le téléphone satellitaire. Chaque semaine notre contact à Québec produira une infolettre qui sera disponible sur notre site Web. Nous pourrons aussi garder contact avec notre famille, par exemple par messages texte.»
Au Nunavut, de forts vents balaient de très grands lacs et de puissantes rivières. Selon Guillaume Moreau, ce scénario suscite des questionnements du genre : «Allons-nous pouvoir progresser autant qu’on le souhaitait? Va-t-on se rendre à temps?» «Gérer le risque, c’est ce qu’on fait chaque jour, soutient-il. Quand la situation est trop risquée, quand le vent est trop fort, quand avancer demanderait trop d’énergie, il faut s’abstenir. Il faut rester sur place et être patient. C’est vraiment un jeu de patience et d’opportunités.» Ces très longues expéditions, il les qualifie de courses contre la montre. «On essaiera de couvrir un immense territoire et il faudra arriver à une date précise sinon le voilier ne pourra pas repartir à cause des tempêtes de l’automne qui vont arriver, soutient-il. Nous serons vraiment en mode mission. On n’est jamais en avance, on n’est jamais à l’abri de risques à cause des grands vents et des nombreux portages. En 2021, nous avons traversé des tempêtes de vent de 110 kilomètres à l’heure.»
«On fait le portage de plus ou on s’arrête ici?»
Le professeur insiste sur les trois premières semaines de canotage, «le moment le plus intense qui va déterminer si on va être capables de faire l’expédition ou pas». La traversée de la première rivière va-t-elle durer deux jours, deux semaines? «Impossible de le savoir», indique-t-il. «Nous allons arriver dans un environnement très difficile, en pleine débâcle. Ce sont des rapides très forts, des rivières ultra-puissantes. Et il fait froid. Y aura-t-il encore de la glace sur la rivière? Est-ce que la rivière sera en grande crue? Y aura-t-il des embûches, des ponts de glace? Est-ce qu’on va rencontrer des arbres dans la rivière à cause de la crue?»
Guillaume Moreau parle d’incertitude. «On va rencontrer des conditions très imprévisibles, dit-il, particulièrement au début de l’étape du canot. Il faudra avancer, trouver des solutions, trouver la mince ligne entre s’épuiser et se blesser, et à l’inverse être capable de parcourir un maximum de kilomètres et de savoir qu’on va récupérer, et que, si on a mal, ça ne dégénérera pas en une blessure vraiment importante. Cela vient beaucoup avec l’expérience, celle de connaître son corps et de reconnaître les signaux d’alarme. Ensuite d’être capable de communiquer avec les autres pour que, ensemble, on prenne une décision intelligente. On fait le portage de plus ou on s’arrête ici?»
Selon lui, un aventurier de haut niveau doit apprendre à tolérer l’inconfort, comme le fait de récupérer dans une tente humide sous la pluie, jour après jour. Il parle de volonté, d’effort mental lorsqu’on est continuellement dans une «quête d’optimisation». L’adaptation aussi. Malgré la fatigue et la faim, il faut rester concentré pour pouvoir prendre les bonnes décisions. Un défi avant tout mental. «C’est sûr qu’il faut savoir souffrir, et avec le sourire, ajoute-t-il. Il faut avoir énormément d’autodérision. On traversera le Nunavut, un territoire gigantesque entre la taïga et la toundra où coulent plein de rivières sur 1000 kilomètres où y’a presque plus de montagnes. C’est vraiment un lieu particulier et super rare sur la planète. C’est le grand royaume du caribou, du bœuf musqué, de la truite grise et des mouches!»
Dans 234 jours. La première traversée nord-sud du Canada, un livre de près de 450 pages paru à l’automne 2023 aux Éditions Cardinal, Nicolas Roulx et Guillaume Moreau écrivent: «Dans les Barren Lands, la région du sud du Nunavut où nous nous trouvons, il n’est pas rare que les essaims de moustiques soient si denses que le simple fait de respirer sans en avaler devienne un exploit».
Jamais à l’abri d’une blessure
Dans une expédition aussi exigeante, il est impossible de ne pas avoir mal, d'être épuisé, de ressentir une grande fatigue. «Il y a toujours une journée plus difficile, poursuit le professeur. Et on n’est jamais à l’abri d’une blessure. On peut glisser sur une roche mouillée, tomber à terre sur un coude et le fracturer. Et cela peut arriver au jour deux de l’expédition.»
Catherine Chagnon souligne le fait qu’une bonne forme physique est nécessaire, mais sans plus, pour tenir son bout dans une épreuve d’endurance extrême comme l’Expédition AKOR. «Il faut être capable de faire un bon kilométrage chaque jour, soutient-elle. Mais la force physique n’est pas le critère le plus important. L’aspect psychologique compte le plus. En expédition, on va tous vivre des moments plus sombres. L’important est de pouvoir être avec des gens en qui on a entièrement confiance et qu’on sait qu’ils vont toujours être à l’écoute. Donc de l’empathie. De l’écoute aussi. La communication en général. Et de la complicité. Il faut pouvoir évoluer en équipe. La force d’une équipe est un élément vraiment important et être en mesure de toujours se motiver jour après jour.»
Selon elle, les femmes ont leur place dans les expéditions de plein air de haut niveau. «Il y a très peu de modèles féminins dans ce genre d’aventure, explique-t-elle. On voit plutôt de grands hommes très forts. Je doutais de mes capacités avant d’embarquer dans l’expédition de 2021. Une de mes grandes craintes était de ne pas être assez forte. À ma grande surprise, ça a super bien été en prenant plus mon temps. C’est sûr que ce n’est pas moi qui prends les plus lourdes charges. Tous ensemble, on est toujours capables de transporter l’équipement.»
Et l’alimentation? «Le gruau et le lait en poudre feront partie du menu, répond-elle. On ajoutera plein d’additifs à nos repas pour que ce soit plus calorique et plus protéiné. On mangera des arachides, de gros biscuits de 400 calories chacun. Au souper, ce sera du saucisson et du fromage. Et on boira quelques litres d’eau chaque jour. Grosso modo, on mangera deux fois plus que ce que l’on mange dans la vie de tous les jours. Après 20 jours maximum, on se met à avoir vraiment faim parce qu’on fait continuellement des efforts physiques et qu’on est constamment à l’extérieur. On essaiera de grignoter tout le temps pour garder de l’énergie.»
Deux expériences scientifiques
Dans leur traversée du Grand Nord canadien, les aventuriers mèneront un projet de recherche en écologie forestière. Entamé dès la première expédition AKOR en 2018 dans le Nunavik, poursuivi en 2021, puis en 2024, le projet consiste à prélever des échantillons sur des arbres dans des régions qui connaissent le réchauffement climatique le plus important. Les carottes prélevées jusqu’au cœur du tronc des arbres montrent tous les cernes de croissance. Ce faisant, Guillaume Moreau aura complété l’entièreté de la taïga canadienne. Les données permettront de mieux comprendre comment la forêt boréale s’adapte aux changements climatiques. Un étudiant au doctorat au Département des sciences du bois et de la forêt consacrera ses projets de recherche, dans les prochaines années, à l’étude de l’ensemble des échantillons qui auront été récoltés.
Les membres de l’expédition AKOR 2024 participeront aussi à un projet de recherche visant à développer un outil clinique pour aider les personnes souffrant de douleurs chroniques.